Art sacré, III : le XXIe siècle

Y a-t-il un art sacré du XXIe siècle ? Après les directives des papes de la fin du XXe siècle sur l’art sacré, un constat doit être fait au début du XXIe siècle : l’un des principes émis par la Constitution Sacrosanctum concilium est mis à l’épreuve. Construire de grandes « maisons communes » pour un peuple de Dieu nombreux, des nefs à la hauteur des cathédrales du moyen Âge, n’a plus de sens alors que ces églises se vident. Des industriels construisaient encore au milieu du XXe siècle pour leur personnel, au sein même d’une cité ouvrière,une église aussi nécessaire à leurs yeux qu’un stade ou une piscine. Quant à la suprématie d’un art abstrait justifié par la certitude que sa symbolique pouvait être appréhendée sans difficulté par des fidèles instruits des vérités de la foi, elle n’a plus de sens pour les générations élevées dans l’ignorance ou dans l’indifférence à ces mêmes vérités.

Dans deux précédents articles, nous avons tenté de brosser un état des lieux de l’art sacré au long du XXe siècle. Nous avons relaté les querelles, dont la vigueur était liée au nombre d’édifices construits, et à la variété des principes qui guidaient les artistes de ce siècle : l’urgence de mettre en architecture ou en décoration les vérités de leur foi catholique, ou, pour les artistes non croyants, la recherche de confrontation à ces mêmes vérités dans une posture qui pouvait aller d’un respect « sacré » à un défi délibéré des valeurs théologiques et esthétiques.

Benoît XVI et l’art sacré

Benoît XVI s’est exprimé lors d’une rencontre avec les artistes dans la chapelle Sixtine le 21 novembre 2009, dix ans après son prédécesseur Jean-Paul II. Il a commencé par rappeler l’initiative de ces rencontres, lancée par Paul VI en 1964 pour réaffirmer « l’amitié entre l’Église et les arts », citant  son adresse aux artistes : « Votre art est celui de saisir du ciel de l’esprit ses trésors et de les revêtir de mots, de couleurs, de formes, d’accessibilité »1. Benoît XVI cita aussi Dostoïevski : « L’humanité peut vivre sans la science, elle peut vivre sas pain, il n’y a que sans la beauté qu’elle ne pourrait plus vivre ». Rappeler à l’homme son destin ultime, le remettre en marche, le remplir à nouveau d’espérance, donner le courage de vivre jusqu’au bout « le don unique de l’existence », telles furent les fonctions de l’art sacré selon cette déclaration de Benoît XVI, loin de toute fuite dans l’irrationnel ni le pur esthétisme.

Dans son discours de Barcelone2 lors de la dédicace de l’église de la Sagrada Familia et de son autel, Benoît XVI insista encore sur la valeur de la beauté, « révélatrice de Dieu » et caractérisa l’œuvre belle : « pure et gratuite, elle incite à la liberté et arrache à l’égoïsme ».

Au-delà de ces vœux très pieux, l’intérêt de Benoît XVI s’est surtout porté sur la musique, art qu’il pratiquait lui-même, et la liturgie comme art sacré. L’architecture et la décoration des églises l’ont moins préoccupé, et déjà on pouvait déplorer la chute de fréquentation des églises pour le culte, les difficultés de maintenir le patrimoine religieux existant en bon état, les problèmes de financement de nouveaux et anciens bâtiments.

Les citations de son prédécesseur sont aussi reprises dans ses discours ou adresses aux artistes, spécialement sa « Lettre aux artistes » d’avril 1999 : « même lorsqu’ il scrute les plus obscures ou les plus bouleversants aspects du mal, l’artiste se fait la voix de l’attente universelle d’une rédemption » Et de citer pour finir Simone Weil : « Dans tout ce qui suscite en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, il y a réellement la présence de Dieu. La beauté est signe que l’Incarnation est possible ».

Un « nouvel art sacré » ?

Benoît XVI aura été témoin, plus que ses prédécesseurs, du changement de paradigme dans l’édification des églises : à l’origine lieux à usage d’administration royale ou impériale (les « basiliques », de basileus, « roi ») cédés aux premiers chrétiens à la fin des persécutions, elles ont suscité au cours des siècles un vaste et puissant mouvement de création propre, avec leur architecture singulière, qui a peut-être culminé en majesté avec l’édification des grandes cathédrales gothiques d’Occident.

Les lieux de culte de la chrétienté ont ensuite toujours été organisés différemment des lieux de culte païens, pour devenir lieu sacré car lieu de célébration exclusif de la liturgie, ce que rappelle pertinemment Marc Levatois : « le lieu saint est le lieu des saints, le lieu sacré est celui où se déploie la liturgie et où le croyant se meut selon un rite ». La fin du XXe siècle a été marquée par un courant architectural inverse, tendant à construire les églises comme des bâtiments administratifs, des salles polyvalentes destinées à accueillir avant de célébrer, et ouvertes au recyclage pour d’autres usages, voire d’autres confessions.

Louis Bouyer le déplorait déjà en 1967 dans son ouvrage « Architecture et liturgie » : « trop souvent, nous ne faisons qu’adapter à l’usage de l’Église quelque genre de bâtiment moderne : salle de réunion, salle de classe, voire cinéma… ». Et nous rappelait quelques vérités plus que jamais fortes : « l’autel est une table mais pas n’importe quelle table. L’Eucharistie est un repas mais pas n’importe quel repas. (…) un cérémonial parfaitement ordonné, dans une église belle, devrait aider à la réalisation de la joie spirituelle sans laquelle il n’y a pas de culte eucharistique authentique ». Il jugeait sévèrement la « conception moderne de la liturgie, purement rubristique, le didactisme sans inspiration, la spiritualité abstraite, qui s’accommodent trop facilement de la misère des édifices où nous expédions un devoir dominical maussade ».

De (trop ?) nombreux acteurs à l’œuvre dans l’art des églises

L’empilement des acteurs de l’art sacré, déjà très complexe après Vatican II, ne facilite pas la tâche des parties en présence : clergé, municipalités, administrateurs culturels, associations de fidèles. Le « Comité national d’art sacré » de 1967, devenu « département d’art sacré » au sein du Service national de la Pastorale liturgique et sacramentelle, les « commissions diocésaines d’art sacré »3 de 1981, en lien avec l’État et les communes, ont travaillé à la mise en place de nouveaux aménagements liturgiques suite aux prescriptions de Vatican II et à gérer les relations fonctionnelles avec les différents services de l’État, telle la « Délégation aux arts plastiques » mise en place par le Ministère de la Culture pour de veiller à l’intégration de l’art contemporain dans les monuments historiques et promouvoir les métiers d’art liés à leur restauration ou conservation.Le comité du patrimoine cultuel créée spécialement en 2002 pour conseiller le ministère de la culture dans le domaine de la protection, de l’enrichissement et de la présentation du patrimoine religieux (toutes religions) a été supprimé en 2015. Le label non contraignant « Patrimoine du XXe siècle » lancé en 1999 est rebaptisé depuis 2016 « Architecture contemporaine remarquable » – la notion de « contemporain » signifiant que l’œuvre a moins de cent ans.

Le Sénat a déposé en 2022 un rapport d’information sur l’avenir du patrimoine religieux en péril4. 15.000 édifices religieux (toutes confessions confondues, mais en France la majorité sont des lieux de culte catholiques) sont protégés au titre des monuments historiques, 8.000 ne le sont pas. Ce nombre reste très en deçà de la réalité du nombre d’édifices présentant un intérêt historique, culturel, architectural ; en effet, toutes les régions ne se sont pas penchées sur leur patrimoine religieux, même si L’État a la possibilité de mettre en demeure une collectivité territoriale défaillante. Les plus petites communes sont les moins exposées au risque de détenir des monuments en péril que les communes moyennes, en raison (infère le rapport du Sénat) du caractère d’identité que portent ces monuments pour les habitants (croyants ou non) : on le voit avec les protestations parfois suivies d’effet, des habitants dans leur ensemble lorsqu’il s’agit de déplacer ou de déboulonner une statue ou un calvaire. Le secteur privé s’engage aussi avec des fondations – telle « Sauvegarde de l’art français » pour le sauvetage des églises rurales. La situation est plus « tracée » (mais plus complexe) dans les villes moyennes, et dans les grandes villes. À Paris la COARC (Conservation des œuvres religieuses et civiles) de la Ville de Paris a pour mission l’inventaire, l’étude et la restauration du patrimoine religieux dans les lieux de culte (tableaux, fresques, objets liturgiques, etc.) et des statues présentes dans l’espace public (tous cultes confondus).

Rénover, reconstruire, restaurer : des raisons d’espérer ?

De nombreuses restaurations, la plupart bienvenues et nécessaires font donc place, à la faveur de la multiplicité des acteurs, à des tentatives audacieuses dans lesquelles l’art contemporain puise dans l’iconographie chrétienne pour la mettre en valeur parfois, quitte à la vider de son sens, et pour souvent la détourner de son objectif de sacralisation du lieu et de pédagogie des vérités de la foi. L’artiste graveur Aude de Kerros nous le démontre.

La défense de ces œuvres est ainsi l’objet de contorsions du discours destiné à justifier des postures d’autorité morale et intellectuelle sur l’iconographie chrétienne.

Ainsi l’artiste qui a réalisé les vitraux de la cathédrale de Strasbourg en 20155 se félicitait de ce qu’une « église ou une cathédrale, c’est un lieu où il y a une énergie spéciale, un lieu gratuit où l’on peut se promener, prier, voire des œuvres d’art…. des refuges, des lieux calmes, des lieux spéciaux qui sont hors normes »… où son travail avait pour but de« dire quelque chose du monde d’aujourd’hui », non sans toutefois recevoir « ce qu’il a à nous donner du passé ». Un commissaire d’exposition (se déclarant « non pratiquant ») se réjouit que des expositions d’artistes contemporains dans des lieux qui ont été sacrés et ne le sont plus (le Collège des Bernardins) aident l’Église à « s’ouvrir sur la société, les réalités contemporaines, la technologie, l’histoire, la formation… ».

A Saint Jean Baptiste de Sceaux (Hauts de Seine, région parisienne) unnouveau mobilier liturgique vient d’être installé (juin 2023) dans cette église construite au XIIIe siècle et profondément restaurée au XIXe puis classée Monument historique en 1929 : autel, avec les fonts baptismaux, l’ambon, les sièges de présidence.

Paul-Louis Rinuy dit de cet ensemble en bois et en or créé par Nicolas Alquin et Marc Alechinsky, qu’il est « d’une noble simplicité, avec des matières et des formes qui condensent une énergie marquante, celle du Saint-Esprit à la Pentecôte, mais disent aussi simplement la beauté, la puissance, la force de ce monde. L’autel, l’aménagement liturgique, ne sont pas des objets d’adoration sacrés, ils sont simplement consacrés et ordonnés à une fin qui les dépasse et nous réunit. C’est l’autel du Christ qui nous accompagne au-delà de notre expérience matérielle et nous ouvre un chemin ».

A Varennes Jarcy (Essonne), l’église Saint Sulpice du XIIIe siècle avait reçu des vitraux déposés de l’abbaye de Jarcy, conservés désormais au musée parisien de Cluny et remplacés par des verrières industrielles. En 2002 l’artiste vitraillier Carole Benzaken et les ateliers Duchemin ont réalisé pour remplacer celles-ci 190 M2 de vitraux, en recherchant l’harmonie avec ces lieux du XIIIe siècle doté de statues classées. Un pari réussi dans la discrétion.

Le monastère de la Visitation de Paris6

… où l’État et l’Église sont tombés d’accord pour « réhabiliter »… des bâtiments monastiques dotés d’une rare ferme urbaine, sans y prévoir aucun lieu de culte.

Le projet du diocèse de Paris est de détruire une partie des murs du monastère de la Visitation construit en 1819 rue de Vaugirard à Paris, afin de préparer le terrain pour l’installation de grands immeubles ; des résidences solidaires qui devraient abriter des volontaires et des personnes précaires : femmes enceintes, personnes en situation de handicap ou encore jeunes actifs. Les cinq dernières religieuses, âgées, voulaient que le site poursuive sa vocation d’entraide et de solidarité. Mais sept associations de défense du patrimoine ont interpellé la mairie de Paris et le ministère de la Culture pour demander l’expropriation et le placement sous instance de classement au patrimoine de la ferme urbaine, côté rue du Cherche-Midi, pour réhabiliter les bâtiments agricoles qui subsistent, en mauvais état,et créer un jardin ouvert au public. Ces associations estiment en effet que l’archevêché pourrait mener son projet en construisant uniquement du côté de la rue de Vaugirard, utilisant les (potentiellement conséquentes) indemnités supplémentaires issues de l’expropriation de la partie patrimoniale qui comporte un oratoire (voué donc à la destruction lui aussi). Les élus écologistes de l’arrondissement sont également partie prenante. Mais la mairie de Paris a confirmé de son côté que « le projet du diocèse, qui a fait l’objet d’un permis de construire en 2019, suit bien son cours. Il permettra la réalisation de logements sociaux dans cet arrondissement très déficitaire, et d’ouvrir au public une partie du jardin de l’ancienne congrégation »

Pour l’église Saint-Genulf du Thoureil (Maine-et-Loire), il a été demandé à un artiste qui  se dit de culture musulmane de dessiner les vitraux. Pour trouver l’inspiration, il a d’ailleurs relu… le Coran « pour savoir ce qu’il dit de Jésus et de Marie » et s’est attelé à réaliser des représentations de végétation et d’étoiles, puisque la représentation du visage humain est interdite en islam…

La chapelle Jean de Bourbon de l’abbaye de Cluny construite au XVe siècle est dotée depuis 2023 de nouveaux vitraux et de deux autels installés à l’emplacement des anciens autels. L’artiste d’origine arménienne Sarkis Zabunyan y a défendu son projet d’« apporter de la fraîcheur à ce lieu qui est un peu ruiné… je voulais signifier une pluie » (de grâces ?)

On est donc loin du vœu d’Alphonse Dupront7 : « C’est le culte qui donne au lieu sa plénitude. Sans lieu, la puissance ou la vertu cultuelles rapidement s’épuisent ».

Il reste l’espoir qu’au moins l’artiste, au-delà de l’expérience technique et esthétique, vive aussi une expérience du Mystère et puisse « laisser transparaître au monde la fécondité de Dieu, l’Esprit Saint à l’œuvre »8. Est-ce suffisant ? Si l’Art ou l’artiste a pu trouver son compte dans ces réalisations, qu’en est-il des églises et de ceux qui y assistent aux offices ? L’État conditionnant souvent ses aides à la poursuite de deux objectifs principaux : accroître la visibilité et le rayonnement du patrimoine religieux, et développer les usages partagés des édifices cultuels, Il ne faut pas s’étonner qu’en ce début de vingt-et-unième siècle,des communautés, des paroisses, désireuses d’une « restauration » de leurs lieux de culte dans son sens traditionnel, reprennent les outils des bâtisseurs et exploitent les aides possibles pour redonner à l’art « sacré » sa signification, au service du culte catholique .

Ainsi l’édification du couvent de la Fraternité Saint Vincent Ferrier à Chémeré-le-Roi, la restauration de l’abbaye de Lagrasse, des restaurations ou créations intégrées à des édifices anciens  permettent à des artistes et artisans de créer ou recréer ces espaces ainsi que les définit Marc Levatois : « Lieu des mystères du Christ, et d’incorporation à eux, l’espace sacré est défini par rapport au Christ lui-même ». Il est envisageable que la « résistance » à la mise au pas que représente Traditionis custodes donne un regain de vitalité à l’art des églises et prieurés où affluent les fidèles attachés à la messe de toujours, pour qui cet art a son sens selon ce que rappelait le pape Jean Paul II dans sa lettre apostolique de 1987 « Duodecimum seculum » : « L’art pour l’art qui ne renvoie qu’à son auteur sans établir un rapport avec le monde divin n’a pas sa place dans la conception chrétienne de l’icône. Quel que soit le style qu’il adopte, tout art sacré doit exprimer la foi et l’espérance de l’Évangile ». François Boespflug a commenté : « Si les textes de Vatican II bien respectés pouvaient sauver la liturgie de la banalité et de la laideur, ce ne serait déjà pas un mince mérite. Et sauverait l’art contemporain de sa propre captivité »

Chémeré le Roi Nouveau couvent de la FSFV

Le Père Couturier, pourtant plutôt partisan de la modernité esthétique, avait déjà répondu dans les années cinquante du XXe siècle : « il n’y a pas d’art chrétien possible quand il n’y a pas de civilisation chrétienne. » Et Henri Charlier d’insister9 : « nous ne connaîtrons pas un art chrétien d’envergure tant qu’une nouvelle chrétienté ne sera pas née ». L’abbé Alain Lorans (FSSPX) nous donne le mot de la fin : « Il est impossible de restaurer les églises si l’on ne restaure pas en même temps – doctrinalement et spirituellement – les âmes.

Bibliographie

Louis Bouyer, « Architecture et liturgie », 1967. Réédition 2009 Cerf éditions
Paul Louis Rinuy « Patrimoine sacré XXe XXIe s. Éditions du Patrimoine/ Centre des monuments nationaux
Marc Levatois « L’espace du sacré : Géographie intérieure du culte catholique », Éditions de l’Homme nouveau, 2012, 150 p., 17 euros.
Catherine Grenier « L’art contemporain est-il chrétien ? », Éditions Jacqueline Chambon Nîmes 2003.
François Boespflug « Dieu et ses images, Une histoire de l’Éternel dans l’art », Bayard, 2011.
Collectif (sous la direction de Fanny Drugeon et Isabelle Saint-Martin) « L’art actuel dans l’Église », Éditions Ereme, 2012.
Daniele Menozzi « les images, l’Église et les arts visuels », Cerf 1991.
« Créations contemporaines en vitrail, Vitraux du XXe siècle et architecture sacrée », Centre international du vitrail de Chartres, 2005.
« Quand la parole donne lieu, ou de l’espace liturgique » François Cassingena-Trévedy
La Maison Dieu, N°239, année 2004
« L’art actuel dans l’Église » Collectif sous la direction de Fanny Drugeon et Isabelle Saint Martin, Éditions Ereme, 2012.

Article publié dans la revue Una Voce n°346 de Mars – Avril 2023

  1. Insegnamenti II, 1964
  2. Le 7 Novembre 2010
  3. Voir les actes du colloque des CDAS de mars 2011 « l’Église et l’art contemporain » www.liturgiecatholique.fr
  4. Rapport n° 765 du 6 juillet 2022 « Patrimoine religieux en péril : la messe n’est pas dite » https://www.senat.fr/rap/r21-765/r21-7650.html
  5. Véronique Ellena, artiste plasticienne et photographe
  6. Source : « Paris historique », revue de presse de janvier 2024
  7. Alphonse Dupront « Du sacré », Gallimard, 1987
  8. P. Michel Brière, aumônier de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, 2019
  9. Henri Charlier « L’art dans la cité chrétienne » in « Problèmes de l’art sacré », Le Nouveau Portique, 1951

Pierre Henri-Rousseau : les couleurs du sacré

C’est après un noviciat court mais intense, interrompu au bout de trois ans pour raisons de santé, que Pierre Henri-Rousseau a changé ses projets de vie et évolué vers la peinture, cherchant passionnément ses sujets dans les Écritures dans la lignée des grands maîtres de la peinture religieuse du Quattrocento.

La contemplation : une exigence

Le don pour le dessin et la peinture a été cultivé dès le jeune âge, dans une famille attentive à l’épanouissement spirituel des sept enfants dont il est le benjamin, et avec la paternité artistique de son arrière-grand-père, Henri Rousseau « l’orientaliste » (1875- 1933)1.
Comme lui, Pierre Henri-Rousseau a commencé des études de droit. Mais il les a interrompues pour entrer au noviciat de l’Abbaye du Barroux, à l’âge de 20 ans. C’est pendant que ce noviciat que Pierre Henri-Rousseau a appris, embrassé et approfondi la contemplation, qui nourrit toute son œuvre d’aujourd’hui.
Pendant le temps de convalescence nécessaire après la déclaration d’une maladie qui l’obligé à quitter le monastère, il s’est initié à la restauration de tableaux, activité correspondant à ses goûts, à Lyon où il a été accueilli le temps de sa formation par un prêtre du diocèse.

Ces trois années d’études à l’Atelier de la Renaissance confirment son talent de création, qui prend vite le pas sur celui de restaurateur. Avant même d’avoir terminé ses études, Pierre Henri-Rousseau reçoit des commandes d’amis : des commandes privées, notamment des portraits, des restaurations, des tableaux d’oratoires déjà, et une commande décisive : la copie du « couronnement de la Vierge » de Fra Angelico.

Les commandes de la Providence

« mes commandes me viennent par la Providence » aime commenter Pierre Henri-Rousseau, qui a d’abord cherché son style, auprès de Fra Angelico, avant d’aboutir à sa marque personnelle, « réaliste-symboliste », avec des références à l’enluminure médiévale. Ainsi furent réalisés un retable d’autel pour l’église de Morzine, un autre pour l’église saint Marc de Toulouse, sur commande du curé,un tableau d’oratoire pour la Paroisse Saint Georges de Lyon où Pierre Henri-Rousseau est membre de la schola grégorienne, une fresque pour le pour la Chapelle des missionnaires de la Miséricorde, et en suivant pour le Séminaire de la Castille, puis pour la petite église romane Saint-Cyr Sainte-Julitte de Canohès (Pyrénées Orientales), sa région natale.
La fresque et la tempera sur bois sont les techniques préférées de Pierre Henri-Rousseau. La fresque (de l’italien a fresco désignant la technique de peinture sur un enduit tant qu’il n’est pas sec, ce qui exige de finir dans la journée une œuvre commencée le matin, sans repentir possible) pour la qualité de ses couleurs, et la tempera qui, associée au travail de la feuille d’or, convient bien aux retables.

Et la proposition sans doute la plus habitée de foi est celle par laquelle l’artiste guide le choix en enrichissant l’idée préalable du commanditaire, en valorisant le ou les sujets qu’il a choisis, en mettant en forme la commande dans le style et les éléments auxquels il tient.

Le style « figuratif-symboliste » qui est désormais la marque de Pierre Henri-Rousseau est réellement habité par la contemplation et l’énergie qu’il met à faire vivre la Parole dans ses couleurs. Aude de Kerros l’a qualifié avec pertinence de peintre « idéaliste » dans le sens d’une vision idéale du monde divin.

Les Toiles du matin

Le nom commercial de l’atelier de Pierre Henri-Rousseau a été choisi en référence aux Écritures, d’une part l’« étoile du matin » clarté naissante dans les ténèbres de la nuit pascale, et d’autre part l’« étoile du matin » qui fait référence à la Vierge Marie. Il y présente son travail, ses commandes en cours et ses projets.

Pierre Henri-Rousseau a récemment exposé au festival d’art sacré de Rillieux-la-Pape (Rhône) et anime aux côtés d’un musicien et d’un philosophe un cycle de conférences sur l’art (https://www.youtube.com/watch?v=e7ox4TdJw_o&t=10s)

Nous recommandons la visite, pour sa clarté et sa beauté formelle, du site lestoilesdumatin.fr. On y touche de l’œil et du cœur combien l’artiste applique son principe : le pinceau est guidé par la certitude que la Beauté, surgie de la contemplation des mystères de la Foi, mène à Dieu.

Article publié dans la revue Una Voce n°346 de Mars – Avril 2023

  1. Né au Caire, second Prix de Rome en 1900, il voyagea et peignit beaucoup en Europe et en Afrique du Nord. Contrairement à lui, Henri Rousseau (1844-1910), dit « Le douanier » dont le surnom passé à la postérité vient de son emploi à l’octroi de Paris, où il contrôlait les entrées de boissons alcoolisées, ne voyagea jamais hors de France : il s’inspira pour ses paysages de jungle de revues de botanique et de visites au Jardin des plantes et au Jardin d’Acclimatation de Paris.

Églises et sanctuaires catholiques au Nouveau Mexique

Nord de la rivière Rio Bravo, se sont affrontés dans la violence Indiens pueblos, conquérants espagnols et, colons anglo-saxons et autorités mexicaines, les lieux de culte catholique de cette terre indienne d’Amérique du Nord racontent l’histoire de l’évangélisation catholique sur ces terres « arides, altérées, sans eau » (Ps. 62), ses souffrances et ses succès.

Sanctuario de Chimayo, le « Lourdes » de l’Amérique

L’un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés d’Amérique du Nord se trouve sur les pentes des Monts Sangre de Cristo au Nord du Nouveau-Mexique. Le toponyme « Chimayó » se réfère à la culture du piment très pratiquée dans cette région où des techniques sophistiquées d’irrigation ont été mises en œuvre par les Indiens bien avant la conquête espagnole.

La crypte d’une chapelle édifiée en adobe – un mélange d’argile, d’eau et de paille hachée-y offre à la vénération des pèlerins la « sainte terre » (« Holy dirt »), dans une cavité au sol où fut trouvé le jour du Vendredi saint de 1810 le Crucifix de Notre Seigneur d’Esquipulas. Influent propriétaire terrien d’origine basque, Don Bernardo Abeyta fit édifier sur ce lieu, avec l’autorisation de l’évêque de Durango (Mexique)1, le Sanctuaire de Chimayó, où défilent de nos jours, pour s’agenouiller et toucher cette terre,des pèlerins en quête de santé spirituelle, physique, mentale.

Sur le même lieu un voisin de Bernardo Abeyta, Severiano Medina,après sa guérison d’une grave maladie,fit lui aussi édifier en 1857 une chapelle, celle-ci dédiée à l’Enfant Jésus d’Atocha2). Une curieuse dévotion rappelant que cet enfant mystérieux marchait beaucoup pour desservir la prison, pieds nus ou en sandales vite usées, conduit les pèlerins d’aujourd’hui à déposer des chaussures d’enfant neuves dans l’antichambre dédiée aux ex-votos de ce sanctuaire. La chapelle, restée dans la famille Medina jusqu’en 1992, est désormais propriété de l’archidiocèse de Santa Fe, Nouveau Mexique. L’ensemble du sanctuaire est sous la responsabilité de la Congrégation des Fils de la Sainte Famille dont le siège est à Barcelone (Espagne).

Santa Fe : Chapelle de Lorette, Basilique Saint François d’Assise et chapelle Saint Michel

Dans cette ville très métissée,fondée par les Espagnols en 1542, choisie comme capitale du territoire en 1607 sous le nom de Villa real de Santa Fe de San Francisco de Asis sont visibles les influences des groupes qui y ont vécu : conquistadores et missionnaires espagnols et mexicains, trappeurs, pionniers du rail et des mines de fer et de turquoise, scientifiques et artistes…

Les influences de l ’Europe sont encore à l’œuvre dans les dédicaces des églises de Santa Fe (qui a toutefois sa Notre Dame de Guadalupe3) : la chapelle de Lorette construite en 1878 sur le modèle de la Sainte Chapelle de Paris, est considérée comme le « premier édifice néo- gothique construit à l’ouest du Mississipi »et est dotée d’un extraordinaire escalier de tribune en double spirale à 360° sans pilier de soutènement :exploit d’architecture intérieure, dû à un charpentier à qui serait apparu en personne Saint Joseph, le saint patron de sa corporation.

La Cathédrale de Santa Fe ne démérite pas, puisqu’ édifiée à partir de 1869 en style néo-roman par l’archevêque français Jean-Baptiste Lamy4 qui fit réaliser les vitraux en France. Élevée basilique en 2005 par Benoît XVI, elle propose à la vénération des fidèles une imposante vitrine- reliquaire qui contient des reliques de Saint François d’Assise, saint Justin de Samarie, Saint Lucien d’Antioche, Saint François Xavier, Saint Antoine de Padoue, sainte Félicité, Saint Camille de Lellis, Saint Pie X, et plus proches de nous, Sainte Catherine Marie Drexel5 (1858-1955) sainte Maria Goretti (1890-1902), la carmélite espagnole sainte Marie de Jésus (1891-1974) et saint Jean-Paul II.

La basilique conserve une chapelle de 1714 dont la Vierge habillée, la Conquistadora, apportée du Mexique en 1625, est portée en procession lors de la Fête Dieu.

La plus ancienne église des Etats Unis, la Chapelle Saint Michel, a été construite entre 1610 et 1630 pour la mission espagnole locale, en adobe épais de près d’un mètre cinquante. Elle conserve les plus anciens retables du Nouveau Mexique élaborés en 1798.

San Geronimo de Taos : deux fois sacré

Taos, petite ville à l’ouest du Nouveau Mexique, a conservé à sa périphérie actuelle un pueblo, un village entièrement construit en adobe au bord de la rivière Red Willow (« saule rouge ») qui a donné son nom à la tribu locale. Les Red Willow sont une branche des Indiens pueblos qui composent la majorité de la population de cette région du Nouveau Mexique : ils ont pour ancêtres les Anasazis et les Mogollon, dont l’exode inexpliqué au XIVe siècle a dilué l’identité, bien avant la conquête espagnole du XVe siècle.

A proximité du centre-ville se dresse l’église Saint François d’Assise, entièrement construite en adobe. A distance du centre, au pueblo historique dont le sol et la rivière sont sacrés, la petite église Saint Jérôme,un des plus récents bâtiments de ce village entièrement construit en adobe,est ouverte au culte, puisqu’une majorité des Indiens résidant sur place, à l’année ou en été, sont catholiques. Ils respectent toutefois leurs croyances ancestrales – le cimetière n’est ainsi pas accessible et les rites funéraires sont exclusivement indiens, ce que rappelle un cercueil « symbolique » placé à droite de l’autel. L’église actuelle remplace deux constructions successives : celle de 1619 détruite une première fois en 1680 lors de la révolte des Pueblos6, celle reconstruite en 1726 après le retour des Hispaniques, elle aussi détruite au cours de la guerre américano-mexicaines de 18477.

La Fraternité saint Pie X a ouvert en 2018 un monastère de bénédictines à Silver City (au Sud du Nouveau Mexique), et Mgr Fellay à l’époque a ainsi béni le premier monastère contemplatif de la FSSPX sur le sol américain. C’est aussi au Nouveau Mexique, au monastère d’Abiquiu, fondé en 1964 par un Bénédictin dans le désert à deux heures de route au Nord de Santa Fe, qu’a été créé en 1995 le premier site Internet monastique au monde : christdesert.org.

Article publié dans la revue Una Voce n°344 de Novembre – Décembre 2023

  1. la région appartenait alors au Mexique qui la céda à l’Amérique en 1846. Devenu « territoire » des États-Unis, le Nouveau Mexique n’acquit le statut d’État américain qu’en 1912.
  2. Atocha est un quartier de Madrid où s’est produit au XVe siècle, peu avant la Reconquista, un miracle de multiplication des pains distribués par un jeune enfant inconnu, seul autorisé à visiter dans leur prison les chrétiens captifs des Maures.
  3. Patronne du Mexique et de la ville de Mexico où son sanctuaire est le lieu de dévotion catholique le plus visité au monde après le Vatican, de l’Amérique latine, fêtée le 12 décembre.
  4. Auvergnat de naissance, il a inspiré le roman de Willa Cather (1873-1947) publié en 1927 « Death comes for the Archibishop » (traduit en français sous le titre « La mort et l’archevêque », Éditeur Rivages poche)
  5. Sainte Catherine Marie Drexel, paroissienne de saint François d’Assise de Santa Fe, a fondé les Sœurs du Saint Sacrement, dévouées à des œuvres de charité et d’éducation auprès des Indiens du Nouveau Mexique.
  6. Il s’agit de la seule révolte d’Amérindiens contre le conquérant espagnol, menée par le chef religieux indien « Popé », qui chassa les Hispaniques de Taos pour dix ans.
  7. au cours de cette guerre, Mexicains et Indiens alliés contre les Américains du gouverneur Bent, assassinèrent celui-ci et se réfugièrent dans l’église San Geronimo où les troupes américaines les assiégèrent par le feu.

Cathédrales noires

Elles sont deux, construites en basalte inaltérable, qui dressent au sud de la Loire leur silhouette fière et sombre. Clermont Ferrand et Agde ont en commun leur matériau (plus gris à Clermont), l’ancienneté de leur installation (Ve siècle), leurs belles proportions qui les signalent de loin dans le paysage urbain et leurs orgues remarquables.

Clermont Ferrand : de la résistance contre les Wisigoths à Viollet-le-Duc

C’est sur l’emplacement de l’église Saint Eutrope actuelle que fut construite la première église de Clermont, par l’évêque Namatius à la fin du Ve siècle. Successeur d’Austremoine, évangélisateur de la région et premier évêque de Clermont, Namatius fit aussi édifier la première cathédrale intra muros : la première église était en périphérie de la ville, les premiers chrétiens étant rejetés dans les faubourgs (vicus christianorum), car méprisés par l’aristocratie locale restée fidèle à la religion antique. Evêque de 471 à 475, Sidoine Apollinaire (430-489) prit sans succès la défense de Clermont contre les Wisigoths du roi Euric1, mais la religion chrétienne ne fut établie qu’après la victoire de Clovis sur Alaric II à Vouillé (507).
Cet édifice fut rasé lors d’un raid destructeur de Pépin le Bref et Etienne II (évêque de Clermont de 942 à 984) fit aménager une large abside et une crypte. Le chevet à déambulatoire et des chapelles rayonnantes sont plus tardif (XIe-XIIe s.). C’est sous l’évêque Hugues de la Tour, à partir de 1248, que le chœur, le transept et les premières travées de la nef remplacent progressivement la cathédrale romane. En 1850, Viollet–le-Duc construit deux travées supplémentaires, portant la longueur de la croix du transept à 32,70 m, et le porche actuel, dans la même pierre de Volvic. Les deux tours à flèches sont terminées en 1884. La tour de la Bayette adossée au portail, bâtie au XVe siècle par accord entre les chanoines et les élus de la ville2, est le lieu où Florin Périer renouvela l’expérience du baromètre proposée par son beau-frère Blaise Pascal, le 20 septembre  1648, le lendemain du premier constat de l’élévation du niveau du mercure au Puy-de-Dôme.
L’élévation intérieure à trois étages, sur 28 mètres de hauteur, est impressionnante. Les dix chapelles du chœur sont illuminées par des vitraux du XIIIe, tandis que deux rosaces rayonnantes éclairent le transept. L’ensemble des vitraux, du XIIe au XXe siècle est remarquable, de même que les peintures anciennes restaurées.

Deux orgues pour faire résonner la louange de Dieu

Grand orgue

L’actuel buffet en chêne de style gothique construit en même temps que les deux dernières travées par Antoine de Baudot, successeur de Viollet-le-Duc, et la maison Merklin de Lyon, a été installé en 1877 en tribune au fond de la nef.
Le premier instrument médiéval avait été conçu et construit en même temps que la première travée et était considéré au XVIe siècle comme « les plus beaux orgues de France ». Plusieurs facteurs se sont succédé de 1569 à 1754, dont Oudard Salomon, Antoine Louvan (Jean-Baptiste Rameau étant alors organiste), Jean-François Lépine et Antoine Guilain du Pont. L’ardeur des révolutionnaires contre la cathédrale à laquelle ils mettent le feu en 1794 épargna l’orgue, protégé par la masse de décombres de trois voûtes écroulées suite à la chute d’une grosse cloche. Après divers réglages et réparations de cet instrument, le facteur Ducroquet monta en 1847 dans son atelier un orgue totalement neuf qui fut installé ensuite dans la cathédrale. Joseph Merklin réemploya en 1876 26 des jeux de Ducroquet et porta l’instrument de 38 à 42 jeux. Charles Tournemire inaugura en 1937 un instrument dont les claviers avaient été agrandis à 56 notes et doté de jeux neufs. Michel Merklin électrifia et modifia des jeux en 1962, avant qu’une restauration en profondeur soit entreprise en 2005 par Saby-Dalsbeck pour retrouver l’orgue Merklin de 1877.

L’orgue de chœur

itué dans son buffet d’origine dessiné par Viollet-le-Duc, il a été construit par Joseph Merklin en 1856 puis cédé en 1885 à la paroisse clermontoise de Saint Pierre des Minimes qui doubla la profondeur du buffet. À la cathédrale, cet agrandissement était impossible, l’orgue étant plaqué contre le mur du déambulatoire. Un nouvel instrument fut donc construit en 1886. Il fut relevé en 1929, restauré en 1962 par la maison Dunand, puis la console a été déplacée côté Sud, suite à l’installation d’un nouvel autel par le sculpteur ponot Philippe Kaeppelin, répondant aux exigences du Concile Vatican II (autel au centre du chœur). Sa dernière restauration date de 2012 (Serge Gourgouillon, Joël Pétrique, Michel Colin) et respecte la composition d’origine.

Saint Etienne d’Agde : une église romane fortifiée

L’évêque Guillaume entreprit en 1173 la construction de l’édifice sur les fondations d’une église carolingienne du Ve siècle, elle-même bâtie sur l’emplacement d’un ancien temple à Diane. Sa tour carrée qui culmine à 35 mètres de hauteur, ses créneaux de château-fort et ses murs de deux à trois mètres d’épaisseur en pierre de lave du Mont Saint Loup tout proche,en font une forteresse austère, ce que l’on ressent aussi à l’intérieur très sombre. Le porche latéral ouvre sur la chapelle Notre Dame, construite avec quelques éléments du cloître roman détruit en 1857, tels chapiteaux et colonnettes.

L’orgue,a été reconstruit entièrement en 1987 et remplace l’orgue romantique de 22 jeux réalisé en 1901 par Jean-Baptiste Puget et restauré en 1952 et 1953 par Maurice Puget, puis en 1956 par Marc Etienne. C’est Gérard Guillemin qui a procédé à cette reconstruction en se référant à l’esthétique de l’Allemagne orientale du début du XVIIIe siècle, et au modèle de l’orgue Silbermann tel que celui sur lequel Jean-Sébastien Bach a joué. Le buffet a été aussi restauré peint en imitation marbre vert par François Roux. Cet orgue a été inauguré en 1990 par Jacques Bétoulières.

Article publié dans la revue Una Voce n°344 de Novembre – Décembre 2023

  1. Il fut emprisonné pendant deux ans et s’en sortit par la rédaction d’un panégyrique au roi Euric, ayant puisé son inspiration pour l’écriture de ses nombreux panégyriques chez Pline le Jeune.
  2. Sa cloche fondue en 1606 a été aussi épargnée lors des assauts révolutionnaires

Frédéric Blanc, au cœur de l’orgue

Une rencontre décisive : Marie-Madeleine Duruflé

C’est au cours de ses études au conservatoire de Toulouse, après être passé à celui de Bordeaux que Frédéric Blanc rencontra en 1991 Marie-Madeleine Duruflé, venue dispenser des « master classes » à l’invitation de l’organiste toulousain Xavier Darasse : organiste-assistant à la basilique Saint Sernin de Toulouse, Frédéric Blanc improvisait à l’orgue, un Cavaillé-Coll de 54 jeux sur trois claviers de 1889, restauré par la suite ( 1996) , puis relevé en 2017. Marie-Madeleine Duruflé qui n’avait pas d’enfant le prit sous son aile et se montra durant des années de formation et de perfectionnement un « professeur exigeant », un guide « en qui tout était élevé, sa foi, son sens des autres, sa pratique de la musique ».

Aujourd’hui encore, Frédéric Blanc est fidèle à sa mission en tant que « fils spirituel » et dépositaire d’un héritage musical, mais aussi responsable de l’orgue que les Duruflé avaient fait construire à partir de 1955 par les Établissements Gonzalez1 dans leur appartement, au dernier étage d’un immeuble de la place du Panthéon dominant Paris.

Une carrière internationale et parisienne

Commencée en 1997 par le Premier prix du concours international de la Ville de Paris (présidé par Marie-Claire Alain), après la préparation intensive et soignée de Marie-Madeleine Duruflé, la carrière internationale de Frédéric Blanc l’a amené très vite en Europe, pour des récitals et des festivals (Friedrichshafen, Bonn, Chartres, Roquevaire, Toulouse, Rome, Monaco, Stuttgart, Helsinki, Oslo, Edimbourg et Linz, mais aussi aux États Unis (Chicago, Los Angeles). Comme le fit Madeleine Duruflé en son temps, il prépare des élèves aux concours internationaux tant pour l’improvisation que pour l’intéreprétation.
À Paris, il est titulaire de l’orgue Cavaillé-Coll de Notre Dame d’Auteuil depuis 1999.

L’orgue de Notre Dame d’Auteuil à PARIS

Grand amateur d’orgues, l’abbé Lamazou, curé de Notre Dame d’Auteuil, fit en sorte que le marché de la construction de l’orgue échût à Cavaillé Coll, qui devait la même année (1877) construire dans un délai intenable le grand orgue du palais du Trocadéro pour l’Exposition universelle de 1878 à Paris. L’abbé Lamazou fut sollicité pour le « prêt » temporaire de l’orgue de Notre Dame d’Auteuil (trois claviers et quarante-cinq jeux) auquel Cavallié-Coll adjoignit un quatrième clavier et deux tourelles de 32 pieds. Ces additions à la charge de l’Etat et devant restant sa propriété après l’exposition, annonçaient un conflit qui éclata lorsque la démolition du palais fut décidée. Comme elle fut finalement ajournée, Cavaillé-Coll refit un orgue entièrement neuf pour Notre-Dame d’Auteuil, avec seulement deux claviers (Grand Orgue et récit expressif), que Charles-Marie Widor inaugura en 1885.
Après un premier relevage de Cavaillé-Coll en 1912, le clavier secondaire manquant (Positif expressif) fut ajouté en 1937 par Gloton-Debierre.Un dispositif électrique qui fonctionne encore de nos jours fut installé et l’étendue des manuels fut portée à 56 notes, celles du pédalier à 32 notes, pour 53 jeux sur trois claviers.

Cet orgue a été relevé en 1963 puis en 1983-1984 par la maison Beuchet-Debierre et l’ébéniste Marcel Fauvet a entièrement verni le buffet. Le dernier relevage a eu lieu en 2015, sous l’impulsion du curé, le père Antoine de Romanet qui lança une souscription auprès des paroissiens et fut aidé aussi par la D.R.A.C. d’Ile-de-France et la mairie du XVIe arrondissement. Les cérémonies officielles de l’inauguration en septembre 2018 ont permis à Frédéric Blanc d’y exercer son talent d’improvisateur et d’interprète et de concevoir un programme éclectique autour de l’orgue, de la littérature et de la poésie.

Cet orgue aux sonorités exceptionnelles permet d’interpréter avec  un rare bonheur la musique des organistes des années 1930 (Vierne, Fleury, Messiaen, Langlais, Grünenewald, Alain, Tournemire, Dupré).
L’église actuellement en travaux réouvrira ses portes en 2024.

La liturgie grégorienne

Frédéric Blanc se situe sur ce point dans la ligne directe de Marie-Madeleine Duruflé. Il a appris le chant grégorien alors qu’il était enfant de chœur dans un petit village du Médoc où était célébrée la messe de Paul VI. « J’aimais la solennité, et c’est par ces premières célébrations que j’ai approché l’orgue et senti ma vocation » raconte-t-il. « Le grégorien est un fil rouge : il représente l’universalité de l’Église, il donne aux offices dignité et beauté, il nous fait accéder à la Transcendance », ajoute-t-il, regrettant de ne pouvoir accompagner plus régulièrement le répertoire liturgique tridentin puisque seules cinq paroisses à Paris sont pour l’heure autorisées à célébrer la messe Saint Pie V le dimanche. Mais il était présent aux côtés des Bénédictins de Solesmes, lors de l’installation du Père Abbé en juillet 2022 et développe des projets musicaux dans le domaine du chant grégorien.
Rappelons que Maurice Duruflé est membre (à titre posthume) du comité d’honneur d’UNA VOCE, ayant pris dès l’origine le parti de l’Association en faveur de la liturgie tridentine, et orientant son travail d’organiste sur les conseils d’Auguste Le Guennant. « Vouloir séparer le chant grégorien de la liturgie catholique, c’est vouloir la mutiler, au rebours de l’article 54 de la Constitution sur la Sainte Liturgie voté à la quasi-unanimité de 2147 voix qui recommande de veiller à ce que les fidèles puissent dire et chanter ensemble en langue latine les parties de l’ordinaire de la messe qui leur reviennent ». Maurice Duruflé faisait le pari que la désaffection depuis 1965 du « chant propre de l’Eglise romaine » pour reprendre les termes de Saint Pie X, ne pouvait être que le présage d’une « nouvelle résurrection », sûr que « la richesse de sa substance musicale, son potentiel expressif, sa spiritualité profonde étroitement liée à la liturgie pendant des siècles, devaient surmonter la crise qui lui avait été imposée sous le prétexte fallacieux de prétendues décisions conciliaires ».

Comme Marie-Madeleine Duruflé dont il recueillit les confidences, Frédéric Blanc a fait sienne la déclaration 120 de la Constitution Sacrosanctum Concilium « On estimera hautement, dans l’Eglise latine, l’orgue à tuyaux comme l’instrument traditionnel dont le son peut ajouter un éclat admirable aux cérémonies de l’Église et élever puissamment les âmes vers Dieu et vers le Ciel ».

Discographie et œuvre écrite de Frédéric Blanc

Etude sur André Fleury, Editions l’Orgue-cahiers et mémoires.
« Maurice Duruflé, Souvenirs (1976) et autres écrits (1936-1986) » Frédéric Blanc, Editions Séguier, 2005.
Reconstitution d’improvisations de Pierre Cochereau.
« Grand orgue Cavaillé-Coll de Notre Dame d’Auteuil, Transcriptions symphoniques » QM 7092, 1’07’’ , 2020.
« Les grandes Orgues Cavaillé-Coll de la basilique Saint Sernin de Toulouse » Motette Ursina CD 11451, 1990, 78’48’’.
« Dix-huit versets improvisés » Motette Ursina CD 11831, 1993.
« Live improvisations à Chartres, Bonn, Angoulême, Toulouse » Aeolus AE-10091, 1999.
« Hommage à André Fleury, Vingt-quatre pièces pour orgue », Aeolus AE-10151, 2002.
« Live improvisations » Quantum 2002.
« Après un rêve, à l’orgue de Barsac (Gironde) » , ROB (Renaissance de l’orgue à Bordeaux).

Site Internet de Fréderic Blanc : fredericblanc.org

  1. Victor Gonzalez (1877-1956), l’un des derniers apprentis d’Aristide Cavaillé-Coll, fonda avec son fils Fernand cet atelier repris à sa mort par son gendre Georges Danion (1922-2005), qui racheta ensuite la maison Jacquot-Lavergne. La direction de ce nouvel Etablissement fut ensuite confiée à Bernard Dargassies lorsque Georg Danion et son épouse Annik Gonzalez (décédée en janvier 2022) s’installèrent à Lodève pour y fonder la Manufacture languedocienne de grandes orgues (1980). Les Gonzalez ont réalisé de nombreux orgues « de salon ».

Les Pénitents bleus de Toulouse : Dieu et le roi

La fondation de la confrérie des Pénitents bleus de Toulouse, placée sous le double patronage de Saint Jérôme et de Marie-Madeleine comme modèles de l’esprit de pénitence, est le fruit d’une indulgence plénière accordée en 1576 à la France par le pape Grégoire XIII pour la lutte contre l’hérésie. Le père jésuite Émond Auger (1530-1591)1 rédigea les statuts d’une association confirmés par Grégoire XIII à la fin de l’année 1578, alors que les premiers pénitents s’étaient déjà groupés en confrérie, puis par Clément VIII en 1594.
Ces statuts prévoyaient la pratique des vertus de piété, de pénitence et de charité, ainsi que la poursuite en commun des exercices du jubilé. Plus tard s’ajouteront le patronage de Saint Louis et celui de l’Assomption de la Vierge.

Le contexte de la Contre-Réforme

Un climat d’exaltation religieuse régnait à Toulouse à la fin du XVIe : les fidèles du catholicisme voulaient maintenir l’unité confessionnelle du Royaume de France, tandis que les adeptes du protestantisme aspiraient à vivre leurs convictions et leur foi dans l’indépendance par rapport à l’Église « ancienne ». Quatre confréries de Pénitents sont ainsi fondées à Toulouse pour exalter la piété dans la foi catholique : Les Pénitents blancs en 1570, les Noirs, les Bleus et les Gris en 1576-1577. La confrérie des Pénitents bleus reçut reçu le qualificatif de « dévote et royale », celle des Blancs « dévote et ancienne » (étant la plus ancienne dans le temps), celle des Gris « la dévote et pieuse » et celle des Noirs « la dévote » sans plus de précisions.

Le costume en toile de chanvre grossière des Pénitents bleus était d’un bleu-violet évoquant la pénitence, et ils portaient une cagoule pointue. Des noms de rues dans plusieurs villes du Sud- Ouest évoquent de nos jours la présence de cette confrérie. (Auch, Arles, Rabastens, Villefranche-de-Rouergue, Limoges…). Choisi pour sa « vie honorable » le pénitent s’engageait solennellement à pratiquer des actes de piété, de charité et de dévotion : prière individuelle à genoux, confession régulière, prêche de la bonne parole autour de soi, prière collective et actes de pénitence (jeûne du vendredi, port du cilice et marche en procession pieds nus), ces derniers assez vite abandonnés. Les processions étaient organisées à l’occasion d’événements touchant la famille royale et les pèlerinages mariaux encouragés par le vœu de Louis XIII. Chaque confrérie avait ses lieux d’élection : les pénitents bleus pèlerinaient vers Notre Dame de Buglose (Landes), Notre Dame de Bétharram (proche de Lourdes), Notre Dame d’Alet (Haute Garonne) et Notre Dame de Garaison (Hautes Pyrénées) où la Vierge était apparue en 1500 à une jeune bergère de 10 ans, Anglèze de Sagazan.

De la vie dévote au soutien de la royauté

Autour du Père Auger, les Pénitents se réunirent à leurs débuts dans la chapelle du collège Saint Martial de Toulouse (au numéro 1, place du Capitole), puis en 1580 à la chapelle du Pré Montardy de la congrégation de Saint Antoine-de-Vienne2, à laquelle ils agrégeront la maison voisine pour en faire un ensemble recédé plus tard aux Antonistes. Ils édifièrent tout à côté en 1622 une chapelle devenue l’église saint Jérôme.

De 1576 à 1588, il s’agissait d’assurer le triomphe de l’Église catholique sur l’hérésie, en répliquant aux arguments des protestants par l’éclat des cérémonies, la dévotion à l’Eucharistie, la dévotion à la Vierge Marie, la pénitence publique vouée à expier les blasphèmes et implorer la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi, dans les 282 membres que comptait la Confrérie en 1578, figuraient un cardinal, un évêque, trois abbés mitrés et vingt prêtres. La présence d’autres membres issus du Parlement et de la grande bourgeoisie étendait la réputation de la confrérie dans la France entière.

Après 1588 et les événements consécutifs à l’assassinat des Guise, les Pénitents bleus pénétrés de l’esprit de la Ligue prirent leurs distances vis-à-vis du roi. Mais la conversion d’Henri IV en juillet 1593, pour laquelle les pénitents bleus avaient adressé d’ardentes prières, les ramena vers des préoccupations plus politiques : en premier lieu prier pour le bonheur et la prospérité de l’État personnifié par le roi. En y adhérant en 1621, Louis XIII lui donna le titre de « Compagnie royale ». Ce culte royal trouvera un aboutissement dans le vœu de Louis XIII (1632) en octobre 1632 dans la nouvelle église des Pénitents bleus, vœu exaucé avec la naissance de Louis XIV en 1638. Tous les rois de France jusque Charles X apposèrent leur signature sur le « Livre des Rois » magnifique volume en parchemin contenant les procès-verbaux d’adhésion des rois, de leurs fils et petits-fils3. Les privilèges dont les rois faisaient bénéficier la confrérie étaient une source d’orgueil au point que l’on disait des confréries : « Noblesse des bleus, richesse des noirs, antiquité des gris, pauvreté des blancs… ». Ces privilèges créaient l’obligation de rendre un culte à la famille royale.

Les Pénitents bleus devinrent donc une confrérie royale dont les cérémonies de réjouissance pour action de grâces lors des événements heureux ou malheureux touchant la royauté furent jugées trop tapageuses par les autorités épiscopales, dont l’archevêque de Toulouse Loménie de Brienne4, qui firent fermer la chapelle Saint Jérôme à plusieurs reprises : ainsi en 1759 pour cause de processions trop bruyantes, « plusieurs morceaux de musique ayant attiré un grand concours de peuple et causé le plus grand scandale par les indécences de tout genre qui y ont été commises ». Ils se virent aussi supprimer le Saint Sacrement, transporté dans une chapelle voisine.

Mais les Pénitents bleus eurent leurs martyrs de la Révolution, dont les Dames Pénitentes toulousaines de Cassan et de Cambon, guillotinées à Paris avec plusieurs confrères toulousains en 1794.En 1791, l’aumônier avait refusé de prêter serment à la Constitution et l’église fut fermée. Elle abrita successivement le Club des Jacobins, les Assemblées primaires, le Temple de la Liberté, et ne fut rendue au culte catholique qu’en 1802.La tentative de reconstitution de la confrérie en 1822 ne fut pas couronnée de succès malgré la désignation comme prieur de Louis XVIII. Après 1825, et la célébration d’une messe anniversaire de son décès (1824) avec « messe en faux bourdons chantée par les meilleurs chantres de la ville »5, quelques réunions insignifiantes se tinrent entre confrères réduits à un très petit nombre qui finirent par constater officiellement la fin de la confrérie en mai 1858.

Il ne subsiste d’eux dans l’église Saint Jérôme que la parcelle de la sainte Croix venue des Pénitents noirs et transférée aux bleus par le pape Pie VII en 1805, dans un ostensoir en vermeil du XIXe siècle6. Le tableau de Guillaume Guillon Lethière peint en 1788 à Rome « Allégorie de la Croix » évoque les miracles, autour de sainte Hélène et de saint Macaire, évêque de Jérusalem, de la guérison d’une possédée et de la résurrection d’un cadavre au moment où on les approche de la Sainte Croix.

Mais il demeure le souvenir du passage de Louis XIII et Anne d’Autriche en 1632, dans la grande tribune disparue en 1805, avant que Louis XIII ne suivît la procession de huit cents pénitents bleus jusque Saint Sernin. Ceux-ci commémorèrent ce moment exceptionnel lors de son décès en 1643 par une célébration solennelle dans l’église Saint Jérôme, illuminant de huit cents cierges le catafalque d’un roi en cire grandeur nature. Louis XIV ne fut pas en reste, se recueillant en 1659 avec reconnaissance pour le vœu de ses parents.

Bibliographie :

Revue l’Autà , juin 1981 « la confrérie des Pénitents bleus », Pierre Gérard, Conservateur en chef des archives départementales. Juin 1983 « une fête chez les pénitents bleus de Toulouse en 1782 », Marie-Louise Prevot.
« Confrérie des Pénitents bleus de Toulouse » Antoine du Bourg in « Mémoires de la Société archéologique du Midi », 1883.
« La Chapelle des Pénitents bleus de Toulouse et l’église Saint Jérôme », Abbé P-E Ousset, revue historique de Toulouse, 1925.
« La Confrérie des pénitents bleus de Toulouse et son Livre des Rois », A. du Bourg, Imprimerie Chauvin et Fils, Toulouse, 1883.
« Les Confréries de pénitents à Toulouse », Bernadette Suau et Nicole Andrieu, Association des Amis des Archives de la Haute-Garonne, InTexte Editions, 2010.

Article publié dans la revue Una Voce n°343 de Septembre – Octobre 2023

  1. Confesseur d’Henri III qu’il encouragea à créer des confréries de pénitents à Paris, auteur du premier catéchisme(« Catéchisme sommaire de la religion chrestienne » 1576), d’un « Traité de la vraie, réelle et corporelle présence de Jésus Christ au sacrement de l’autel » 1566, et d’une « Métanoelogie sur le sujet de la congrégation des pénitens et toutes autres dévotieuses Assemblées en l’Eglise Sainte »1584.
  2. Ordre religieux hospitalier des chanoines de Saint Antoine-en-Viennois (Isère)qui se consacra de 1095 à 1776 aux soins des victimes du « mal des ardents », une intoxication à l’ergot du seigle, parasite qui provoquait des hallucinations, des convulsions et des sensations de brûlures internes violentes puis la gangrène. Une relique de Saint Antoine rapportée de Constantinople dans ce village aurait été réputée guérir ce mal. L’Ordre adopta la règle de St Augustin en 1247 puis fut érigé en Ordre de chanoines réguliers en 1297.
  3. Il manque la signature de Louis XV. La page où devrait figurer la signature est absente, probablement confiée à l’enlumineur qui ne l’a pas rendue.
  4. Etienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794) archevêque de Toulouse de 1763 à 1788, a aussi scellé en 1771 la suppression du vicariat de la maison de l’Inquisition de Toulouse.
  5. Délibération du 13 janvier 1825, à la dernière page du « Livre des Rois ».
  6. Une procession jusque l’église Saint Sernin de Toulouse avait lieu jusque dans les années 1960 du XXe siècle, quand la fête « de l’invention de la Sainte Croix » tombait un vendredi.

Actualités de l’Enluminure

– Dossier : L’Enluminure française (Art. 7) –

L’Évangéliaire dit « de Saint-Mihiel », réalisé à Reichenau (Allemagne) vers 1040, vient d’être vendu par l’Institut catholique de Lille qui le conservait depuis 1881. Destiné à la proclamation des Évangiles lors des principales fêtes liturgiques et messes solennelles de l’année, il avait été commandé par Irmengard de Nellenburg, apparentée au pape Léon IX et, par son oncle Henri II (973-1024), à la dynastie ottonienne relayée par la dynastie salienne (ou franconienne) à la mort de celui-ci.

Le programme iconographique typique des 254 folios réalisés à Reichenau fait une belle place à des couleurs « célestes » culminant dans la très rare représentation d’Irmengard offrant au Christ son époux Werner tué en 1053 à la bataille de Civitate1. L’époux lui-même tend l’évangéliaire au Christ. Le repos de l’âme du défunt est ainsi confié à la communauté monastique bénéficiaire de ce manuscrit. La réalisation des doubles pages est exceptionnelle.

Retrouvé par le curé Charles Didiot (1797-1866) chez un libraire de Saint-Mihiel (Meuse) , issu peut-être de l’abbaye de cette ville, à moins qu’il ne provienne de l’Abbaye Saint-Mansuy de Toul (Meurthe-et-Moselle) où il était attesté en 1696, le codex d’Irmengard fut offert par le frère de Charles Didiot, Jules Didiot (1840-1903), lui-même chanoine, à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lille dont il était le doyen, en 1881. Le Musée Getty de Los Angeles ne s’y est pas trompé, qui vient de le racheter bien qu’il ait été classé « Trésor national » en 2020. Aucun acquéreur ne s’étant présenté, la vente a pu se faire légalement au musée Getty, ce dont la conservatrice du département des manuscrits Elizabeth Morrison se réjouit : la dernière acquisition du musée concernant le XIe siècle remonte aux années 1980.

L’Éducation du prince chrétien, manuscrit enluminé réalisé vers 1530 par Étienne Colaud (actif entre 1512 et 1541) ou son entourage, a eu une meilleure fortune : il s’agit de l’édition française de l’ouvrage écrit en 1516 par Érasme pour Charles Quint alors âgé de seize ans. Guillaume de Montmorency, chevalier d’honneur de Louise de Savoie, et l’abbé de Baudreuil de Saint-Martin-aux-Bois souhaitaient le transmettre au dauphin François de France2 alors détenu en Espagne. Ce manuscrit ayant appartenu aux familles de Montmorency puis de Condé a été préempté en octobre 2022 par la bibliothèque du musée Condé de Chantilly pour près de 200 000 euros.

Article publié dans la revue Una Voce n°342 de Mai – Juin 2023

  1. Cette bataille opposa près de Foggia (région des Pouilles, Italie) les Normands Onfroy d’Apulie et Richard 1er et les forces rassemblées par le pape Léon IX pour reprendre aux Normands leurs fiefs italiens. Ces forces constituées de seigneurs italiens, d’un contingent germanique de l’empereur Henri III le Noir et de troupes byzantines, furent écrasées par la chevalerie normande en infériorité numérique mais à l’habileté équestre devenue légendaire. Le pape Léon IX y fut capturé et emprisonné à Bénévent. II mourut à Rome peu après sa libération en 1054.
  2. Le dauphin François (1518-1536), fils de François 1er, fut détenu avec son frère Henri (futur Henri II, 1519-1559) par Charles Quint, après la défaite de François 1er à Pavie et la signature du traité de Madrid (Janvier 1526). Les deux jeunes gens furent donc otages le temps de l’exécution du traité.

Trésors enluminés des ducs et duchesses de Bourbon

– Dossier : L’Enluminure française (Art. 6) –

À l’occasion du cinquième centenaire de la disparition d’Anne de France, la Bibliothèque nationale de France a exceptionnellement prêté au musée départemental Anne-de-Beaujeu à Moulins six manuscrits exposés dans un studiolo1
provenant de l’ancienne bibliothèque des Ducs de Bourbon: ces manuscrits étaient donc de retour à Moulins pour la première fois en septembre 2022.

Chaque génération avait ajouté à cette bibliothèque ses propres commandes, les cadeaux qu’elle reçut ou des prises de guerre : Louis II de Bourbon (1337-1410), Jean Ier (1381-1434) et son épouse Marie de Berry (1375-1434), Charles Ier (1401-1456)et son épouse Agnès de Bourgogne (1407-1476) mais surtout Jean II ( 1426-1488) et son épouse Jeanne de France (1435-1482), enfin Pierre II (1438-1503) et son épouse Anne de France (1461-1522) firent de Moulins un foyer artistique rayonnant et constituèrent une impressionnante collection de livres qui était au début du XVIe siècle l’une des plus prestigieuses de France avec près de six cents volumes dont la moitié ont été retrouvés2.

La trahison et la disgrâce du Connétable Charles III de Bourbon entraîna la chute de leur principauté. Les biens des Bourbons furent mis sous séquestre puis saisis à la mort du Connétable en 1527. La bibliothèque devint bibliothèque personnelle de François Ier en 1531 et fut réunie en 1544 au château de Fontainebleau à la bibliothèque royale auparavant conservée à Blois. Ces ouvrages appartiennent au noyau historique des collections de la Bibliothèque nationale que sont les livres des rois de France.
Nombre de ces livres, dont ceux présentés à Moulins, sont des ouvrages enluminés de grand format peints par les meilleurs artistes de l’époque, à Moulins, Bourges, Tours et Paris. Jean Colombe, le « Maître du Josèphe », le « Maître du Boccace », Jean Hey, Guillaume Picqueau et le « Maître de Claude de France » ont dirigé et influencé nombre d’artistes anonymes.

Les manuscrits présentés à Moulins3 : Bible historiale de Jean de Berry (1395-1400), Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (vers 1410) de Jean de Berry, Ordonnance de fondation de la Collégiale de l’ordre de Saint Michel, du roi Charles VIII, Heures de Louis de Laval (1470-1485) – un des manuscrits les plus richement enluminés du monde -, Vie de Jésus-Christ (1482) et Vie de saint Jérôme (1505-1510) d’ Anne de France sont disponibles en ligne sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

Article publié dans la revue Una Voce n°342 de Mai – Juin 2023

  1. Studiolo : petit cabinet de travail et de méditation.
  2. Voir l’ouvrage « Les Bourbons en leur bibliothèque (XIIIe-XVIe siècles )» sous la direction d’Olivier Mattéoni aux Éditions de La Sorbonne, 2022, 422 p., 39 euros.
  3. Catalogue de l’exposition sous la direction de Giulia Longo et Aubrée David-Chapy, Éditions Faton 2022.

Les Grandes Heures d’Anne de Bretagne

– Dossier : L’Enluminure française (Art. 5) –

Ce prestigieux manuscrit enluminé a été réalisé vers 1505 à Tours pour la Duchesse Anne en parchemin épais, reliées à neuf en 1684 en chagrin1 pour être déposées dans le Cabinet de curiosités de Louis XIV. Saisi au château de Versailles en 1795, comme « provenant de la bibliothèque de Louis Capet I », il fut déposé en 1852 au Musée des Souverains créé par Louis-Napoléon Bonaparte, puis remis à la Bibliothèque nationale de France après la fermeture de ce musée en 1872.

Anne de Bretagne, duchesse, souveraine, inspiratrice des arts

Anne de Bretagne est née en 1477, fille aînée du duc de Bretagne François II et de sa seconde épouse Marguerite de Foix.Elle avait neuf ans à la mort de sa mère. Objet de convoitises politiques dès sa naissance, Anne vit son sort suspendu aux relations entre le duc de Bretagne et le roi de France. Son caractère énergique et sa pression psychologique sur son père lui donnèrent un sursis à un mariage prévu en 1487 avec Alain d’Albret, de quarante ans son aîné, avant que l’invasion de la Bretagne par Charles VIII et la défaite des Bretons à Fougères en 1488 ne scellât son destin conjugal : le traité du Verger par lequel François II s’engageait à ne marier ses filles Anne et Isabeau qu’avec l’accord du roi de France fut signé en août 1488, achevant François II qui mourut peu après, usé par une vie de débauche et probablement par une maladie « de l’entendement », non sans avoir endetté son duché, alors un des derniers grands fiefs du Royaume.

Deux mariages et peu d’enfants

L’éducation intellectuelle et morale d’Anne fut dès lors assurée par Françoise de Dinan, comtesse de Laval, qui possédait des seigneuries en Bretagne et participait à la vie politique. Femme lettrée qui avait aussi de solides connaissances en mathématiques et en sciences, elle a fortement influencé la vie religieuse d’Anne par sa dévotion rigoureuse. Anne eut encore comme protecteurs ceux que son père avait désignés : le maréchal de Rieux, Alain d’Albret, le comte de Dunois et le Gascon Odet d’Aydie. Anne épousa en 1490 par procuration Maximilien d’Autriche, bien placé aux yeux de tous ses conseillers2 pour tenir en respect le roi de France- et en violation de l’accord du Verger signé entre son père et le roi de France deux ans plus tôt. Le siège de la ville de Nantes lancé en 1491 par Charles VIII rendit inévitable une négociation dont l’élément majeur fut le projet de mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII, au mépris des fiançailles de celui-ci avec Marguerite de Bourgogne et du récent mariage d’Anne avec Maximilien d’Autriche, mais avec la recommandation, presque considérée comme un oracle, de l’ermite François de Paule3. Malgré les scrupules d’Anne craignant que ce deuxième mariage ne mît son âme en danger, malgré l’absence d’attirance réciproque des futurs époux, le mariage fut célébré en décembre 1491, avec pour conséquence la cession des droits d’Anne sur le duché à son époux4.

Ce mariage ne fut pas heureux. Honorée comme reine de France, elle perdit tout pouvoir effectif.
Son premier enfant, Charles-Orland5, mourut à l’âge de trois ans des suites de la rougeole. Les six enfants mis au monde par la suite, entre 1493 et 1498, ne furent pas viables. Le dernier ne vécut que quelques heures en mars 1498, et le roi qui venait de rejoindre son épouse à Amboise mourut lui-même accidentellement en avril 1498. Anne se sentit responsable de ces décès successifs, y voyant une punition de Dieu pour avoir épousé Charles VIII avant d’avoir obtenu (à quelques jours près) la dispense du pape, retardée par les pressions légitimes exercées sur lui par Maximilien d’Autriche.

Anne reprit donc son titre de duchesse de Bretagne et reprit en main personnellement la direction du duché, tout en se préparant à épouser Louis d’Orléans6 devenu Louis XII. Il fallait là encore une dispense puisque Louis d’Orléans était marié avec Jeanne de France et le pape Alexandre VI Borgia fit lui-même porter les lettres de dispense par son fils César Borgia. Deux enfants naquirent de cette union, Claude en 1499 et Renée en 1510.
Anne eut un rôle politique plus marqué, soutenant les projets de son mari : la Croisade de 1501(où elle chargea personnellement son héraut d’armes Pierre Choque de lui faire un reportage des pays traversés et des batailles menées) et la guerre d’Italie (1502-1509).

La fin de son règne fut tumultueuse, avec la menace du pape Jules II (qui avait suscité une coalition italienne pour chasser les Français de la péninsule) d’excommunier le couple royal et de mettre le royaume de France en interdit, c’est-à-dire d’y faire suspendre tous les actes religieux. Ses tentatives de conciliation se heurtèrent au mépris de son époux : « Vos confesseurs ne vous ont-ils point dit que les femmes n’avaient point de voix dans les choses de l’Eglise ? » La mort de Jules II écarta le danger, mais la défaite de Novare (1513), celle de Guinegate (contre les Anglais), et le coulage du fleuron de la flotte bretonne, la « Cordelière » ,mirent à l’épreuve moralement et physiquement Anne de Bretagne, qui mourut à Blois le 15 janvier 1514.

Anne de Bretagne et les arts 

La bibliothèque de son père François II était bien limitée : trente et un livres au château de Nantes, dont la plupart étaient des livres liturgiques et des livres de piété., dont le recueil de vie de saints exécuté pour Isabelle Stuart en 1464, et Somme le Roy, de Frère Laurent. Après son mariage, confinée à Lyon, Grenoble, Amboise, Tours et surtout Moulins sous la surveillance de sa belle-sœur Anne de Beaujeu, pendant que son époux guerroyait en Italie, elle s’intéressa au butin artistique qu’il rapportait de ses campagnes : tapisseries et tentures, reliquaires d’or et d ‘argent, soieries, et des volumes précieux provenant de la bibliothèque du roi de Naples. Anne nomma secrétaire de la Maison de la Reine Jean Marot (1450-1526, père de Clément) qui lui dédia une apologie de la femme, Vrai dysant advocate des dames et l’Epistre des dames de France aux courtisans de France. Elle commença en 1492 à commander des manuscrits enluminés et des tapisseries historiées. Sa prédilection pour le manuscrit enluminé guida son choix vers Jean Bourdichon, peintre préféré des monarques français dont l’influence dans le premier quart du XVIe fut décisive.
Aucun atelier d’imprimeur ne s’installa d’ailleurs à Nantes durant le règne d’Anne de Bretagne et c’est par la Loire qu’arrivaient les livres d’heures imprimés à Caen par Pierre Regnault. Les livres d’histoire, visant à affirmer le statut d’État à part entière de son duché, avaient sa faveur : Cronique des roys et princes de Bretagne armoricane commandée à Pierre Le Baud, historiographe de la reine, (1505, conservé en un seul exemplaire à la British Library) et les Grandes chroniques de la Bretagne à Alain Bouchart (1514, Bibliothèque d’Angers). Mais elle commanda plusieurs livres religieux : livres de Prières à Jean Poyet, Epîtres de saint Jérôme à Jean Bourdichon, enfin ce prestigieux « Grandes Heures d’Anne de Bretagne ». Ces codex sont reconnaissables à leur ornementation qui comprend presque toujours une combinaison des écus de France et de Bretagne avec la lettre « A », ou le « S » de Charles VIII, et un choix de devises (« A ma vie » et « Non mudera », « je ne changerai pas » référence aux origines navarraises de sa mère Marguerite de Foix) et emblèmes (cordelière à nœuds).

Les « Grandes heures » sont de « stylus sublimis » pour la variété de et la richesse de leurs coloris et l’or qui les met en valeur. De nombreuses répliques des « Heures » d’Anne de Bretagne furent élaborées : Heures Holford (1515, conservées à la Pierpont Morgan Library de New York), Heures à l’usage de Rome ( (British Library), Heures de Gardner (Gardner Museum, Boston, Etats Unis)…

Un manuscrit royal, modèle de nombreux livres d’heures

Le manuscrit contient une série de prières et dévotions habituelles dans la France de la fin du Bas Moyen Âge. Un calendrier occupe douze folios, suivi des quatre Évangiles et du petit office de la Vierge dans lequel s’intercalent les Offices de la Sainte Croix et du Saint Esprit. Sept psaumes pénitentiels précèdent les litanies des saints et les vigiles des morts. Suivent Les suffrages des saints, une prière de dévotion à la Couronne d’épines, une prière avant de recevoir l’Eucharistie, une autre à réciter entre la consécration et la communion, puis une en mémoire du bon larron,et deux prières Obsecro te, et O intemereta. La Passion selon Saint Jean clôture l’ouvrage. Des accords d’indulgences sont liés à certaines des prières.

Se représenter concrètement les aspects de la vie du Christ jusqu’à la Croix, devait, dans la sensibilité religieuse de l’époque, aider le dévot à méditer et recevoir dans son cœur des vérités concernant l’histoire du Salut et la vie morale personnelle. Le niveau de connaissance et de contemplation auquel le croyant devait être amené justifiait l’art précis et presque « spectaculaire » de l’enlumineur. Les propriétaires de livres d’Heures étaient encouragés à contempler ces images pour se mettre et demeurer en prière. A compulser ces splendides et précises peintures sur 237 folios, on conçoit les fruits que la lectrice a pu en retirer pour sa vie spirituelle, en priant « sur de la beauté ».

Article publié dans la revue Una Voce n°342 de Mai – Juin 2023

  1. Peau de raie pastenègue ou « chien de mer », popularisée par le maître gainier parisien Jean Claude de Galluchat (1690-1774).
  2. Y compris Alain d’Albret qui échangea son renoncement à l’épouser contre une coquette pension, le commandement d’une compagnie et la garde du château de Nantes.
  3. Fondateur à dix-neuf ans de l’ordre des Minimes de Paola (Calabre) que sa réputation de thaumaturge envoya à la cour de Louis XI avec la bénédiction du pape Sixte IV. Doté par les rois Louis XI, Charles VIII et Louis XII, il vit construire pour son Ordre plusieurs couvents en France avant de décéder à Plessis -les- Tours le Vendredi Saint de l’an 1507.
  4. Avec une réciprocité : Charles VIII céda ses droits sur la Bretagne.
  5. Prénom suggéré par François de Paule. Orland pour Orlando, version italienne de Roland.
  6. Arrière-petit-fils de Charles V, fils du prince poète Charles d’Orléans et de Marie de Clèves.

Après les manuscrits : les livres d’Heures imprimés

– Dossier : L’Enluminure française (Art. 4) –

Après 1490, l’imprimerie prit à grande allure le relais des manuscrits. Pas moins de 1585 éditions de livres d’heures furent mises sous presse entre 1480 à 1600, dont1 400 à Paris même. Les tirages par édition pouvant varier de six cents à douze cents exemplaires, ces livres circulèrent en grand nombre dans toute l’Europe alors largement analphabète. Depuis Mayence, la typographie se diffusa par de nouveaux ateliers d’imprimerie à Nuremberg, Bâle, Venise, Milan, Paris, créant une demande que n’aurait pu satisfaire la production manuscrite. A Paris, l’association des imprimeurs et des libraires fut à l’origine de l’essor des livres d’Heures imprimés dans les deux dernières décennies du XVe siècle : Jean du Pré1 (14..-1504) et Pierre Le Rouge imprimèrent les premières « Heures de Nostre Dame » illustrées de gravures sur bois, Antoine Vérard (1450-1514) publia 59 éditions d’Heures entre 1486 et 1513. Guy Marchant, actif à Paris entre 1482 et 1506 a probablement réalisé la première affiche de l’histoire avec l’impression en 1482 du « Grant Pardon de Nostre Dame de Rains».

Le livre imprimé reprend la même iconographie que les manuscrits

Au début du XVIe siècle, l’impression en nombre concurrença durement les copistes à la plume lente qui appliquaient minutieusement leurs couleurs sur du parchemin. Quelques imprimeurs maintinrent une production de qualité à faible tirage destinée aux lettrés et aux riches commanditaires, en imprimant sur vélin et coloriant à la main des vignettes ou des lettrines ou en faisant réaliser des manuscrits enluminés d’après copie d’ une édition imprimée : ainsi le « Dit des trois morts et des Trois vifs » de Guy Marchant2 , dont les miniatures ont été réalisées par l’enlumineur dit Maître de Philippe de Gueldre3 .

À Paris, l’atelier typographique Pigouchet associé au libraire Simon Vostre , actif de 1488 à 1515, porta à un niveau esthétique et technique inégalé les impressions de livres d’Heures. « Heures à l’usage de Paris », « Heures de Rome », sont ornées de bordures historiées où apparaissent des danses des morts et de nouvelles vignettes.
Durant le règne de François 1er, on comptait à Paris une trentaine de producteurs de manuscrits historiés, dotés de nombreux apprentis spécialisés. Dans les commandes passées aux enlumineurs, il n’était parfois pas précisé si le support était un livre manuscrit ou un livre imprimé. La tentative de la profession d’« enlumyneur et hystorieur »4 de s’ériger en corporation rencontra l’opposition définitive du prévôt de Paris en 1608 : il estimait que cette nouvelle jurande serait source de conflits.

Troisième centre d’imprimerie en France, après Paris et Lyon, les ateliers typographiques de Rouen actifs au cours du XVe siècle, ceux de Jean Le Bourgeois et de Jacques Le Forestier, éditèrent des livres d’Heures à l’usage des sept diocèses bas-normands dont soixante-douze éditions sont conservées aujourd’hui à Rouen.

Albi enfin, autre centre actif bien qu’éphémère d’imprimerie au XVe siècle,abritait un évêché parmi les plus riches du royaume car bénéficiaire de dîmes (sur le safran et le pastel5 ). Les prélats étaient proches des souverains français entre autres par leur direction de campagnes militaires contre les rébellions du « Midi ».

Jean Jouffroy (1412-1473), créé Cardinal en 1465, et titulaire de plusieurs abbatiats dont celui de Saint Sernin de Toulouse, obtint du pape Paul II des reliques de Sainte Cécile, dont l’authenticité est de nos jours incertaine mais dont la translation à la cathédrale d’Albi plaça celle-ci sous le patronage de Sainte Cécile. C’est par lui que l’art italien du Quattrocento fit irruption à la Cathédrale Sainte Cécile. Érudit et lettré, amateur de livres, il partageait sa bibliothèque entre Rome et Albi(au palais épiscopal de La Berbie)6. Quant à Louis d’Amboise (1432-1503), évêque d’Albi en 1474 après avoir été ambassadeur de Louis XI auprès du pape Sixte IV, il fut aussi le principal représentant de la monarchie en Languedoc : il bénit le mariage d’Anne de Bretagne avec Charles VIII et devint ensuite cardinal-légat de Louis d’Orléans, ce qui lui permit le recours aux meilleurs artistes pour édifier la cathédrale et élaborer sa décoration intérieure.

Les grands typographes albigeois stimulés par ce mécénat ont été « l’Atelier de l’Aenas Sylvius »7, Étienne Clébat (Missel à l’usage de Saint Étienne en 1490 et missel d’Auch en 1491) et surtout Jean Neumeister dit Jean de Mayence, probable apprenti de Gutenberg entre 1459 et 1463 ,qui fit à Albi une halte de trois ans. À cette époque, seuls trois diocèses français ont adopté le rit romain : Albi, Rodez et Avignon. C’est sans doute pourquoi Jean Neumeister, sur une faible production albigeoise de six livres, imprima deux livres liturgiques selon le rit romain, avant de s’établir à Lyon pour y réaliser, entre autres, l’édition princeps de La divine comédie de Dante, et le missale lugdunense (1487) : deux éditions qui font de lui l’héritier technique indubitable de Gutenberg.

Article publié dans la revue Una Voce n°342 de Mai – Juin 2023

  1. À distinguer de Jean du Pré (14..-1503) imprimeur à Salins, Lyon,Chartres, Uzès et Avignon.
  2. La plus ancienne représentation figurée d’une Danse Macabre se trouvait à Paris, sur les murs du Cimetière des Innocents(détruite en 1663) et l’imprimeur parisien Guy Marchant en reprit les figures sur des bois gravés pour imprimer deux éditions maintes fois reproduites, dont ce manuscrit à peintures , daté de 1510, est une copie.
  3. Philippe de Gueldre (1464-1547),duchesse de Lorraine, fille de Catherine de Bourbon et d’Adolphe d’Egmont, épouse de René II de Lorraine puis religieuse clarisse.
  4. titre porté par Etienne Colaud, réalisateur des «  Statuts de l’ordre de St Michel « dont six exemplaires pour le roi François 1er « escriptz, enluminesz, relyez et couverts » (1528)
  5. Colorant bleu fabriqué à partir des « cocagnes », boules résultant de la macération de feuilles d’Isatis tinctoria cultivées dans la région. Il enrichit les marchands d’Albi et de Toulouse au XVIe siècle et ne fut détrôné que par l’indigo.
  6. Le legs à son neveu Hélion Jouffroy fit de celui-ci le possesseur d’une des plus grandes bibliothèques privées du royaume de France, avec 650 volumes.
  7. du nom de l’auteur du roman De remedio amoris d’Aeneas Sylvius Piccolimini, nom de plume du pape Pie II (1477).