Les Pénitents bleus de Toulouse : Dieu et le roi

La fondation de la confrérie des Pénitents bleus de Toulouse, placée sous le double patronage de Saint Jérôme et de Marie-Madeleine comme modèles de l’esprit de pénitence, est le fruit d’une indulgence plénière accordée en 1576 à la France par le pape Grégoire XIII pour la lutte contre l’hérésie. Le père jésuite Émond Auger (1530-1591)1 rédigea les statuts d’une association confirmés par Grégoire XIII à la fin de l’année 1578, alors que les premiers pénitents s’étaient déjà groupés en confrérie, puis par Clément VIII en 1594.
Ces statuts prévoyaient la pratique des vertus de piété, de pénitence et de charité, ainsi que la poursuite en commun des exercices du jubilé. Plus tard s’ajouteront le patronage de Saint Louis et celui de l’Assomption de la Vierge.

Le contexte de la Contre-Réforme

Un climat d’exaltation religieuse régnait à Toulouse à la fin du XVIe : les fidèles du catholicisme voulaient maintenir l’unité confessionnelle du Royaume de France, tandis que les adeptes du protestantisme aspiraient à vivre leurs convictions et leur foi dans l’indépendance par rapport à l’Église « ancienne ». Quatre confréries de Pénitents sont ainsi fondées à Toulouse pour exalter la piété dans la foi catholique : Les Pénitents blancs en 1570, les Noirs, les Bleus et les Gris en 1576-1577. La confrérie des Pénitents bleus reçut reçu le qualificatif de « dévote et royale », celle des Blancs « dévote et ancienne » (étant la plus ancienne dans le temps), celle des Gris « la dévote et pieuse » et celle des Noirs « la dévote » sans plus de précisions.

Le costume en toile de chanvre grossière des Pénitents bleus était d’un bleu-violet évoquant la pénitence, et ils portaient une cagoule pointue. Des noms de rues dans plusieurs villes du Sud- Ouest évoquent de nos jours la présence de cette confrérie. (Auch, Arles, Rabastens, Villefranche-de-Rouergue, Limoges…). Choisi pour sa « vie honorable » le pénitent s’engageait solennellement à pratiquer des actes de piété, de charité et de dévotion : prière individuelle à genoux, confession régulière, prêche de la bonne parole autour de soi, prière collective et actes de pénitence (jeûne du vendredi, port du cilice et marche en procession pieds nus), ces derniers assez vite abandonnés. Les processions étaient organisées à l’occasion d’événements touchant la famille royale et les pèlerinages mariaux encouragés par le vœu de Louis XIII. Chaque confrérie avait ses lieux d’élection : les pénitents bleus pèlerinaient vers Notre Dame de Buglose (Landes), Notre Dame de Bétharram (proche de Lourdes), Notre Dame d’Alet (Haute Garonne) et Notre Dame de Garaison (Hautes Pyrénées) où la Vierge était apparue en 1500 à une jeune bergère de 10 ans, Anglèze de Sagazan.

De la vie dévote au soutien de la royauté

Autour du Père Auger, les Pénitents se réunirent à leurs débuts dans la chapelle du collège Saint Martial de Toulouse (au numéro 1, place du Capitole), puis en 1580 à la chapelle du Pré Montardy de la congrégation de Saint Antoine-de-Vienne2, à laquelle ils agrégeront la maison voisine pour en faire un ensemble recédé plus tard aux Antonistes. Ils édifièrent tout à côté en 1622 une chapelle devenue l’église saint Jérôme.

De 1576 à 1588, il s’agissait d’assurer le triomphe de l’Église catholique sur l’hérésie, en répliquant aux arguments des protestants par l’éclat des cérémonies, la dévotion à l’Eucharistie, la dévotion à la Vierge Marie, la pénitence publique vouée à expier les blasphèmes et implorer la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi, dans les 282 membres que comptait la Confrérie en 1578, figuraient un cardinal, un évêque, trois abbés mitrés et vingt prêtres. La présence d’autres membres issus du Parlement et de la grande bourgeoisie étendait la réputation de la confrérie dans la France entière.

Après 1588 et les événements consécutifs à l’assassinat des Guise, les Pénitents bleus pénétrés de l’esprit de la Ligue prirent leurs distances vis-à-vis du roi. Mais la conversion d’Henri IV en juillet 1593, pour laquelle les pénitents bleus avaient adressé d’ardentes prières, les ramena vers des préoccupations plus politiques : en premier lieu prier pour le bonheur et la prospérité de l’État personnifié par le roi. En y adhérant en 1621, Louis XIII lui donna le titre de « Compagnie royale ». Ce culte royal trouvera un aboutissement dans le vœu de Louis XIII (1632) en octobre 1632 dans la nouvelle église des Pénitents bleus, vœu exaucé avec la naissance de Louis XIV en 1638. Tous les rois de France jusque Charles X apposèrent leur signature sur le « Livre des Rois » magnifique volume en parchemin contenant les procès-verbaux d’adhésion des rois, de leurs fils et petits-fils3. Les privilèges dont les rois faisaient bénéficier la confrérie étaient une source d’orgueil au point que l’on disait des confréries : « Noblesse des bleus, richesse des noirs, antiquité des gris, pauvreté des blancs… ». Ces privilèges créaient l’obligation de rendre un culte à la famille royale.

Les Pénitents bleus devinrent donc une confrérie royale dont les cérémonies de réjouissance pour action de grâces lors des événements heureux ou malheureux touchant la royauté furent jugées trop tapageuses par les autorités épiscopales, dont l’archevêque de Toulouse Loménie de Brienne4, qui firent fermer la chapelle Saint Jérôme à plusieurs reprises : ainsi en 1759 pour cause de processions trop bruyantes, « plusieurs morceaux de musique ayant attiré un grand concours de peuple et causé le plus grand scandale par les indécences de tout genre qui y ont été commises ». Ils se virent aussi supprimer le Saint Sacrement, transporté dans une chapelle voisine.

Mais les Pénitents bleus eurent leurs martyrs de la Révolution, dont les Dames Pénitentes toulousaines de Cassan et de Cambon, guillotinées à Paris avec plusieurs confrères toulousains en 1794.En 1791, l’aumônier avait refusé de prêter serment à la Constitution et l’église fut fermée. Elle abrita successivement le Club des Jacobins, les Assemblées primaires, le Temple de la Liberté, et ne fut rendue au culte catholique qu’en 1802.La tentative de reconstitution de la confrérie en 1822 ne fut pas couronnée de succès malgré la désignation comme prieur de Louis XVIII. Après 1825, et la célébration d’une messe anniversaire de son décès (1824) avec « messe en faux bourdons chantée par les meilleurs chantres de la ville »5, quelques réunions insignifiantes se tinrent entre confrères réduits à un très petit nombre qui finirent par constater officiellement la fin de la confrérie en mai 1858.

Il ne subsiste d’eux dans l’église Saint Jérôme que la parcelle de la sainte Croix venue des Pénitents noirs et transférée aux bleus par le pape Pie VII en 1805, dans un ostensoir en vermeil du XIXe siècle6. Le tableau de Guillaume Guillon Lethière peint en 1788 à Rome « Allégorie de la Croix » évoque les miracles, autour de sainte Hélène et de saint Macaire, évêque de Jérusalem, de la guérison d’une possédée et de la résurrection d’un cadavre au moment où on les approche de la Sainte Croix.

Mais il demeure le souvenir du passage de Louis XIII et Anne d’Autriche en 1632, dans la grande tribune disparue en 1805, avant que Louis XIII ne suivît la procession de huit cents pénitents bleus jusque Saint Sernin. Ceux-ci commémorèrent ce moment exceptionnel lors de son décès en 1643 par une célébration solennelle dans l’église Saint Jérôme, illuminant de huit cents cierges le catafalque d’un roi en cire grandeur nature. Louis XIV ne fut pas en reste, se recueillant en 1659 avec reconnaissance pour le vœu de ses parents.

Bibliographie :

Revue l’Autà , juin 1981 « la confrérie des Pénitents bleus », Pierre Gérard, Conservateur en chef des archives départementales. Juin 1983 « une fête chez les pénitents bleus de Toulouse en 1782 », Marie-Louise Prevot.
« Confrérie des Pénitents bleus de Toulouse » Antoine du Bourg in « Mémoires de la Société archéologique du Midi », 1883.
« La Chapelle des Pénitents bleus de Toulouse et l’église Saint Jérôme », Abbé P-E Ousset, revue historique de Toulouse, 1925.
« La Confrérie des pénitents bleus de Toulouse et son Livre des Rois », A. du Bourg, Imprimerie Chauvin et Fils, Toulouse, 1883.
« Les Confréries de pénitents à Toulouse », Bernadette Suau et Nicole Andrieu, Association des Amis des Archives de la Haute-Garonne, InTexte Editions, 2010.

Article publié dans la revue Una Voce n°343 de Septembre – Octobre 2023

  1. Confesseur d’Henri III qu’il encouragea à créer des confréries de pénitents à Paris, auteur du premier catéchisme(« Catéchisme sommaire de la religion chrestienne » 1576), d’un « Traité de la vraie, réelle et corporelle présence de Jésus Christ au sacrement de l’autel » 1566, et d’une « Métanoelogie sur le sujet de la congrégation des pénitens et toutes autres dévotieuses Assemblées en l’Eglise Sainte »1584.
  2. Ordre religieux hospitalier des chanoines de Saint Antoine-en-Viennois (Isère)qui se consacra de 1095 à 1776 aux soins des victimes du « mal des ardents », une intoxication à l’ergot du seigle, parasite qui provoquait des hallucinations, des convulsions et des sensations de brûlures internes violentes puis la gangrène. Une relique de Saint Antoine rapportée de Constantinople dans ce village aurait été réputée guérir ce mal. L’Ordre adopta la règle de St Augustin en 1247 puis fut érigé en Ordre de chanoines réguliers en 1297.
  3. Il manque la signature de Louis XV. La page où devrait figurer la signature est absente, probablement confiée à l’enlumineur qui ne l’a pas rendue.
  4. Etienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794) archevêque de Toulouse de 1763 à 1788, a aussi scellé en 1771 la suppression du vicariat de la maison de l’Inquisition de Toulouse.
  5. Délibération du 13 janvier 1825, à la dernière page du « Livre des Rois ».
  6. Une procession jusque l’église Saint Sernin de Toulouse avait lieu jusque dans les années 1960 du XXe siècle, quand la fête « de l’invention de la Sainte Croix » tombait un vendredi.