Actualités de l’Enluminure

– Dossier : L’Enluminure française (Art. 7) –

L’Évangéliaire dit « de Saint-Mihiel », réalisé à Reichenau (Allemagne) vers 1040, vient d’être vendu par l’Institut catholique de Lille qui le conservait depuis 1881. Destiné à la proclamation des Évangiles lors des principales fêtes liturgiques et messes solennelles de l’année, il avait été commandé par Irmengard de Nellenburg, apparentée au pape Léon IX et, par son oncle Henri II (973-1024), à la dynastie ottonienne relayée par la dynastie salienne (ou franconienne) à la mort de celui-ci.

Le programme iconographique typique des 254 folios réalisés à Reichenau fait une belle place à des couleurs « célestes » culminant dans la très rare représentation d’Irmengard offrant au Christ son époux Werner tué en 1053 à la bataille de Civitate1. L’époux lui-même tend l’évangéliaire au Christ. Le repos de l’âme du défunt est ainsi confié à la communauté monastique bénéficiaire de ce manuscrit. La réalisation des doubles pages est exceptionnelle.

Retrouvé par le curé Charles Didiot (1797-1866) chez un libraire de Saint-Mihiel (Meuse) , issu peut-être de l’abbaye de cette ville, à moins qu’il ne provienne de l’Abbaye Saint-Mansuy de Toul (Meurthe-et-Moselle) où il était attesté en 1696, le codex d’Irmengard fut offert par le frère de Charles Didiot, Jules Didiot (1840-1903), lui-même chanoine, à la faculté de théologie de l’Université catholique de Lille dont il était le doyen, en 1881. Le Musée Getty de Los Angeles ne s’y est pas trompé, qui vient de le racheter bien qu’il ait été classé « Trésor national » en 2020. Aucun acquéreur ne s’étant présenté, la vente a pu se faire légalement au musée Getty, ce dont la conservatrice du département des manuscrits Elizabeth Morrison se réjouit : la dernière acquisition du musée concernant le XIe siècle remonte aux années 1980.

L’Éducation du prince chrétien, manuscrit enluminé réalisé vers 1530 par Étienne Colaud (actif entre 1512 et 1541) ou son entourage, a eu une meilleure fortune : il s’agit de l’édition française de l’ouvrage écrit en 1516 par Érasme pour Charles Quint alors âgé de seize ans. Guillaume de Montmorency, chevalier d’honneur de Louise de Savoie, et l’abbé de Baudreuil de Saint-Martin-aux-Bois souhaitaient le transmettre au dauphin François de France2 alors détenu en Espagne. Ce manuscrit ayant appartenu aux familles de Montmorency puis de Condé a été préempté en octobre 2022 par la bibliothèque du musée Condé de Chantilly pour près de 200 000 euros.

Article publié dans la revue Una Voce n°342 de Mai – Juin 2023

  1. Cette bataille opposa près de Foggia (région des Pouilles, Italie) les Normands Onfroy d’Apulie et Richard 1er et les forces rassemblées par le pape Léon IX pour reprendre aux Normands leurs fiefs italiens. Ces forces constituées de seigneurs italiens, d’un contingent germanique de l’empereur Henri III le Noir et de troupes byzantines, furent écrasées par la chevalerie normande en infériorité numérique mais à l’habileté équestre devenue légendaire. Le pape Léon IX y fut capturé et emprisonné à Bénévent. II mourut à Rome peu après sa libération en 1054.
  2. Le dauphin François (1518-1536), fils de François 1er, fut détenu avec son frère Henri (futur Henri II, 1519-1559) par Charles Quint, après la défaite de François 1er à Pavie et la signature du traité de Madrid (Janvier 1526). Les deux jeunes gens furent donc otages le temps de l’exécution du traité.