Notre Dame de Bonne Délivrance de Neuilly

Une imploration pour notre temps

Les amis et proches de l’abbaye de Fontgombault connaissent Notre Dame du Bien mourir. Notre Dame veille aussi sur les Franciliens, en la personne de Notre Dame de Bonne Délivrance, à l’histoire mouvementée.

C’est au XIe siècle que le chapitre de Notre Dame de Paris élève une collégiale sur l’emplacement d’une ancienne église dédiée à saint Etienne, premier martyr, et pillée par les Normands au IXe siècle. Cette nouvelle église, saint Etienne des Grès1 est dotée d’une chapelle latérale dite « de la Vierge » où est installée une statue éponyme. Elle bénéficie du développement de la dévotion mariale stimulée par les malheurs du XIVe siècle : guerres, occupation de Paris, épidémies… Ainsi, infirmes, malades, pécheurs et pèlerins en route vers Saint Martin de Tours ou Saint Jacques de Compostelle, viennent se prosterner devant la Vierge Noire, rejoints par les étudiants en théologie de la Sorbonne et du collège des Jésuites. Le XVIe siècle la verra s’intensifier cette dévotion mariale : contre le protestantisme d’une part, et surtout en appel à la miséricorde envers les nombreux pères de famille emprisonnés pour dettes, attendant la « délivrance ».

Une confrérie royale

La confrérie royale de la charité de Notre Dame de Bonne Délivrance fut fondée par le chanoine de Saint Etienne, Jean Olivier, en 1533. Ses statuts prévoyaient que les membres puissent se réunir dans une chapelle de l’église Saint Etienne, pour « s’encourager mutuellement à la vertu par des actes de dévotion, pratiquer les bonnes œuvres et délivrer les prisonniers ». Les pratiques religieuses : Office de la Vierge, Messe, chapelet, litanies, soutenaient cette piété et les processions solennelles du 1er mai et du 24 août, entre Saint Etienne et une église de Paris, étaient suivies par une foule en fête : bannières, reliquaires, torches et cierges accompagnaient « la belle ymage de Notre Dame, environnée de rayons de soleil et d’anges, avec son piédestal, le tout d’argent ». Puis les maîtres de la confrérie allaient dans les prisons de la ville libérer autant de captifs que les libéralités accordées à Notre Dame le permettaient.

Notre Dame semble avoir accordé bien d’autres grâces, ainsi qu’en témoignent les nombreux ex-voto visibles à l’intérieur de la chapelle.

En 1844, l’abbé Desoye, prêtre du diocèse de Paris, écrivit une « Histoire de Notre Dame de Bonne Délivrance », étendant les grâces de délivrance des prisonniers à la « Délivrance ou  bonne mort ». Et des manifestations de piété populaire ont évoqué aussi la « bonne délivrance » que représente un accouchement sans difficultés.

Le choc de la Révolution

Des luttes fratricides entre le Chapitre de Saint Etienne et la confrérie avaient déjà abouti à La suppression de celle-ci en février 1737. Rétablie en 1774, elle vit poser les scellés sur les portes de l’église Saint Etienne et de la chapelle mariale en juillet 1790, et la mise en vente du mobilier et de la statue « en pierre, haute d’environ 5 pieds et demi ». Madame de Carignan Saint Maurice, membre de la Confrérie, offrit au liquidateur le prix fort pour soustraire la statue à la profanation d’une vente publique, et pour deux cents livres, elle put rapporter la statue chez elle, dans son hôtel Traversière de la rue Notre Dame des Champs2.

Mais en septembre 1793, un membre du Comité révolutionnaire se présenta à l’hôtel Traversière pour arrêter Madame de Carignan. Écrouée aux « Oiseaux », ancienne maison d’éducation du 7e arrondissement, elle y noua des liens d’amitié avec les religieuses de Saint Thomas de Villeneuve dont le couvent de la rue de Sèvres était tout proche, et spécialement avec leur supérieure, Mère Walsh de Valois.

La prière et l’imploration de Notre Dame de Bonne Délivrance qui étaient le meilleur soutien des prisonnières leur apporta la « délivrance » plus vite qu’elles s’y attendaient : elles furent libérées en octobre 1794.

Chez les Hospitalières de saint Thomas de Villeneuve

Madame de Carignan put aussi éviter aux religieuses la vente de leur couvent, mis en adjudication. En des temps plus calmes, elle leur fit don de la statue qui fut très officiellement3 transférée chez les Hospitalières de Saint Thomas de Villeneuve rue de Sèvres. La statue fut placée dans le retable de l’autel, dans l’attente de pouvoir construire une nouvelle chapelle pour l’accueillir. La première pierre de cette chapelle fut posée en mai 1829. Fixée au 5 août 1830, l’inauguration ne put avoir lieu à cause de la Révolution de Juillet et se fit dans le secret le 22 août. Une plaque visible dans la chapelle le commémore.

Fondée en 1661 à Lamballe par le Père Ange Le Proust, Augustin de la réforme de Bourges, la congrégation avait reçu de celui-ci la règle de son Ordre, et des règlements spécifiques de la mission hospitalière au service des plus pauvres qui fut confiée aux Soeurs. Le pape Alexandre VII venait de canoniser un religieux augustin, Thomas de Villa Nueva, devenu archevêque de Valenceaprès une vie de dévouement auprès des pauvres et des malades : la congrégation fut placée sous sa protection. Elle a essaimé dans toute la France, et depuis 1948 au Sénégal et aux États-Unis (Connecticut). Le Père Ange l’a aussi confiée à la sainte Vierge, honorée chaque jour et implorée en toute circonstance pour apprendre à être « servante à son image ».

Les Sœurs eurent maintes occasions de manifester leur charisme et de porter leur aide dans les circonstances très troublées des années 1870 et 1871. La reconnaissance canonique leur fut accordée en 1873, et en 1906, au jour du centième anniversaire de l’arrivée de la statue de Notre Dame rue de Sèvres, Mgr Jourdan de la Passardière4 déposa sur les fronts de la Vierge et de l’enfant de précieuses couronnes au nom du Pape Pie X.

Expropriées de la rue de Sèvres en 1906, suite au percement du tunnel de la ligne de métro « Nord-Sud », les religieuses purent, après une implantation provisoire à Issy-les-Moulineaux, emménager en septembre 1908 à Neuilly, boulevard d’Argenson, où la caisse scellée contenant la Vierge noire les avait précédées de quelques heures. Elle fut placée dans la chapelle construite à son intention en juin 1910 où l’on peut la voir de nos jours.

La statue

C’est une statue datée du XIVe siècle n en calcaire dur, d’une hauteur de 1,50 m, dont la peinture est d’origine. Souriant avec gravité, comme l’enfant qu’elle porte sur son bras gauche avec un léger déhanchement, elle porte son regard bienveillant sur les pèlerins qui viennent l’implorer. Son voile blanc laisse apparaître une longue chevelure et sa tunique rouge, semée d’étoiles et retenue par une ceinture dorée, disparaît en partie sous l’ample manteau bleu-nuit fleurdelisé, galonné d’or et doublé d’hermine.

La peinture noire du visage peut faire débat, mais on peut écarter dans le cas de Notre Dame de Bonne Délivrance deux des hypothèses qui ont cours sur l’explication de la couleur noire des « Vierges noires » : le noircissement par la fumée des cierges, et le vieillissement de certains bois clairs dont le coloris fonce avec le temps. La couleur noire est ici intentionnelle : l’une des hypothèses explicatives, celle qui renvoie au psaume « Nigra sum, sed formosa… », antienne des Vêpres de la Très Sainte Vierge issue du Cantique des Cantiques, s’appliquerait -elle dans ce cas ? La question ne semble pas tranchée.

Parmi ses pèlerins célèbres, Dom Guéranger…

Dès sa fondation, la Confrérie royale de charité de Notre Dame fut honorée par les rois et les princes : Louis XIII, Anne d’Autriche, Louis XIV. Les frères prêcheurs dont le couvent se trouvait en face de Saint Etienne-des-grès, la visitèrent, de même que Saint Dominique, Saint Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin et le Bienheureux Jourdain de Saxe. Le Père Poullard des Places y inaugura en 1703 avec ses premiers compagnons la Congrégation des Pères du Saint Esprit. Monsieur Olier fit de même en 1645 pour sa « Société des prêtres de Saint Sulpice » avec douze compagnons. Saint Vincent de Paul était lui aussi fervent de la « Vierge des âmes en peine » et lorsqu’à sa mort en 1660, son corps fut transféré à la chapelle des Lazaristes de la rue de Sèvres, une dernière étape était prévue à la chapelle des Sœurs. Bien qu’un contretemps eût empêché cette étape, une médaille fut frappée à trente mille exemplaires pour en garder le souvenir.

Sainte Sophie Barat aurait confié à Notre Dame de Bonne Délivrance son projet de fondation de l’Institut des Dames du Sacré Cœur. Son frère, le père Barat, encouragea Victorine le Dieu de la Ruaudière dont il assurait la direction spirituelle, dans la fondation du « Patronage de Saint Joseph ».

Dom Guéranger, premier abbé de Solesmes, confiera à Notre Dame de Bonne Délivrance la restauration de l’Ordre bénédictin en France. Il notera sur le registre des messes de Saint Thomas qu’il « se remet de toutes ses forces, lui et son troupeau, à la très puissante et très digne Reine, à la très douce Mère ».

Saint Jean Bosco célébra une messe à l’autel de Notre Dame de Bonne Délivrance en 1883, lors d’un voyage à Paris. Et Albert de Mun, Frédéric Ozanam, lui confièrent aussi leurs plus chères intentions et leurs projets.

Il semble que « nul n’est venu prier devant la Vierge noire sans en recevoir quelque faveur ». (Religieuses de Saint Thomas).

Article publié dans la revue Una Voce n°330 de Janvier – Février 2021

  1. Saint Etienne des grès peut-être à cause des dalles de grès de l’ancienne voie romaine qui passait devant l’église ;ou parce que la rue montait par « degrés » jusqu’à Saint Etienne-du-Mont. En tout cas cette appellation est exacte, contrairement à celle employée au XVIe siècle de « Saint Etienne des Grecs », qui repose sur une confusion entre Saint Denis de Paris, martyr au IIIe siècle, et Saint Denis évêque d’Athènes et martyr au 1er siècle.
  2. Aujourd’hui inclus dans l’ensemble immobilier du lycée Stanislas.
  3. Le pape Pie VII, sollicité par madame de Carignan, avait accordé à l’occasion de ce transfert des privilèges spirituels.
  4. Oratorien, Évêque auxiliaire de Lyon, Carthage puis Rouen (Granville,1841-1913)