William Bouguereau, le peintre de la grâce

Le peintre né en 1825 à La Rochelle a pleinement habité le XIXe siècle, et gagné une réputation tant en France qu’en Europe et aux États-Unis. En France où il a réalisé de spectaculaires décorations d’églises, il souffre injustement du classement de son œuvre en « art pompier ». C’est aux États-Unis (encore dépositaires d’une grande partie de son œuvre) qu’il fut le plus apprécié.

Une vie marquée par des drames familiaux

Dans la fratrie de William Bouguereau, les garçons sont catholiques comme leur père, et les filles protestantes comme la mère. Les difficultés de son père ,commerçant en vins, le conduisent à confier William à son oncle Eugène, curé de paroisse à Mortagne- sur- Gironde. Celui-ci, qui aura une grande influence sur sa formation spirituelle, l’inscrit au collège de Pons où il prend ses premiers cours de dessin. William doit toutefois interrompre ses études pour aider son père dans le commerce qu’il vient d’ouvrir à Bordeaux. C’est là qu’un voisin qui a repéré son talent persuade son père de le laisser suivre des cours de peinture à l’École municipale et présenter le concours d’entrée à l’École des Beaux arts de Paris. Il y est reçu et remporte à vingt -cinq ans le Prix de Rome1 qui lui vaut le séjour à la villa Médicis.

De retour à La Rochelle, il ne retrouve comme famille que sa mère Adeline, qui l’avait aidé en secret à financer ses études à Paris : le père, Théodore Bouguereau ,a quitté le domicile familial après avoir obligé sa fille Catherine dite Kitty, la cadette de William, à épouser un homme qu’elle n’aime pas. Kitty et William ont déjà perdu leur sœur Anna, à l’âge de 17 ans, en 1845, et leur frère Alfred, disparu en mer juste après son engagement comme marin.

Marié à l’un de ses modèles, Nelly Monchablon, en 1856, William Bouguereau devient père d’une fille, Henriette, en 1857 puis en 1860 de Georges, qui meurt de tuberculose à l’âge de quinze ans en 1865. Jeanne née en 1872 ne vivra que quelques mois, et Paul né en 1868 décède en 1900. Le drame suprême est, en 1877, le décès de Nelly auquel ne survivra pas leur cinquième enfant âgé de quelques mois.

Ces épreuves inspireront des œuvres majeures : la Pietà2 (1876), la Vierge aux Anges(1900, Musée du Petit Palais), la Vierge consolatrice (1877,Musée des Beaux-Arts de Strasbourg), une « Âme au ciel »(1878, Musée de Périgueux).

William Bouguereau ne put épouser Elisabeth Gardner, une artiste anglaise, qu’en 1896, après le décès de sa mère qui s’était toujours opposée à son remariage.

L’œuvre peinte de William Bouguereau est foisonnante et variée. Il a peint, après des études préparatoires particulièrement soignées, près de neuf cents tableaux :

– des portraits (Aristide Boucicaut, la Comtesse de Cambacérès, Catherine dite « Kitty » Bouguereau, Elisabeth Gardner sa deuxième épouse).

– des fantaisies mythologiques, « Dante et Virgile aux Enfers »(1850, collection particulière),

« Nymphes et satyre » (1873, Sterling and Clark Art Institute de Williamston, Massachussetts), « Naissance de Vénus » (1879, Musée d’Orsay), « Ulysse reconnu par sa nourrice à son retour de Troie »(1849, Musée des Beaux Arts de la Rochelle), les Oréades (1902, musée d’Orsay), la « Naissance de Vénus » (1879, Musée d’Orsay)3.

– des scènes de genre rurales, dont tous les critiques s’accorderont à louer la grâce des visages et le remarquable travail de rendu des mains et des pieds, telles : la « Promenade à âne »(1878, Cummer Gallery of Arts, Jacksonville ,Floride), la « Parure des champs » (1884, Musée des Beaux Arts de Montréal) et des scènes de famille : les « Frère et sœur bretons » (Metropolitan museum, New York), La « Famille indigente » (1865, Musée de Birmingham),la « Sœur aînée »(1864, Brooklyn Museum de New-York), « Admiration maternelle »(1869, Collection particulière)

– des scènes religieuses : « les Saintes Femmes au tombeau » (1890, Musée royal des Beaux Arts d’Anvers), « Flagellation de Notre Seigneur Jésus-Christ » (1880, Musée des Beaux Arts de La Rochelle), « Triomphe du martyr : le corps de sainte Cécile porté dans les catacombes » (1854, Musée municipal de Lunéville). Ces scènes préfigurent le travail de décoration réalisé dans trois églises parisiennes : Sainte Clotilde, Saint Vincent-de-Paul, et Saint Augustin.

Bouguereau a peint un seul tableau « historique », sur commande de l’État, en 1856 : « Napoléon III visitant les inondés de Tarascon »(Hôtel de ville de Tarascon) et ne s’est pas obstiné dans ce genre peu attrayant pour lui, bien qu’il fût un bourreau de travail. Il a également réalisé quelques décors intérieurs sur commande de particuliers : hôtel de Jean-François Bartholoni et résidence d’Anatole Bartholoni son fils à Paris4, et le décor du foyer du Grand Théâtre de Bordeaux.

Les églises de Paris

Sainte Clotilde construite de 1846 à 1857, est la première grande église de style néogothique du XIXe siècle5. Son premier architecte, François Gau, était originaire de Cologne, et décéda en cours de chantier en 1853. Théodore Ballu lui succéda et c’est Picot, le maître de Bouguereau, qui recommanda quatre de ses élèves dont William Bouguereau, pour en réaliser la décoration intérieure. Le parti pris esthétique de Picot fut de rappeler les décors du XIIIe siècle italien, en particulier ceux de Santa Croce de Florence. Les peintures de Bouguereau sont les mieux conservées, parce que réalisées avec le plus de soin : toutes les autres ont eu besoin de restauration. La Chapelle Saint Louis est ornée de panneaux peints représentant la vie de saint Louis.

Saint Augustin, construite de 1860 à 1871 par Victor Baltard, comporte deux chapelles décorées par William Bouguereau : chapelle Saint Pierre et Paul et chapelle saint Jean-Baptiste, à l’origine confiée à un autre artiste qui fut dédommagé, le Préfet estimant très supérieur le travail de Bouguereau.

Saint Vincent de Paul a été construite en 1844 et décorée par Flandrin et Picot. Une chapelle supplémentaire consacrée à la Vierge a été réalisée plus tard, en 1870, et c’est à William Bouguereau qu’en a été confiée la décoration. Huit tableaux représentent la Visitation, l’Annonciation (présentée à l’Exposition universelle de 1889), le mariage de Marie, la Fuite en Égypte, l’Adoration des bergers, l’Adoration des mages, La Vierge au pied de la Croix.

En 1870, Bouguereau assiste au siège de Paris, où il est resté après avoir mis sa famille en sécurité en Bretagne. Déjà en juillet 1848, il avait écrit dans son journal ces paroles inquiètes, qui résonnent dans les temps troublés que nous vivons en 2021 : « Contre qui donc grondaient les tubes d’airain à la voix formidable ? À qui ces balles étaient-elles destinées ? À des frères ! Désolation ! Y-a-t-il un frein pour retenir ces masses ? Hélas non, la foi n’existe pas, l’honneur est rare, sur qui donc compter ? Oh, que l’horizon est sombre : Paris, France, auriez-vous assez vécu ? J’ai peur car la corruption est générale, les philosophes, les socialistes, faussent l’esprit des masses, la décadence approche, ces signes furent toujours précurseurs de la chute des Empires ».

Article publié dans la revue Una Voce n°331 de Mars – Avril 2021

Notes
  1. Il récupère ce prix en « seconde place », le prix n’ayant pas été décerné en 1848 suite à la révolution, et le séjour de ce deuxième lauréat est limité à trois ans alors que le lauréat de 1850 (Paul Baudry) est doté, lui, d’une bourse pour quatre ans à la Villa Médicis. 
  2. La « Pietà » a été d’abord exposée au Palais des Pays-Bas à l’invitation du roi Guillaume III, puis prêtée au Musée de la Légion d’Honneur de San Francisco, et finalement achetée par un collectionneur américain 
  3. Ce tableau a été exposé dans la salle du banquet donné par le président Émile Loubet pour le tsar Nicolas II et la tsarine de Russie en 1901. 
  4. Les panneaux démontés sont aujourd’hui visibles à l’Ambassade américaine à Paris. 
  5. L’architecte Léon Vautrin a reproduit la façade de sainte Clotilde dans la construction de la façade de la cathédrale de Canton (Chine) entre 1863 et 1888. César Franck fut l’organiste de Sainte Clotilde sur le buffet Cavaillé -Coll de 46 jeux installé en 1859.