La tapisserie de Jean des Prés à la collégiale Saint Martin de Montpezat-de-Quercy

Réalisée au début du XVe siècle à la demande de Jean IV des Prés, seigneur de Montpezat, doyen du chapitre collégial et co-adjuteur de l’évêque de Montauban, elle se présente dans le chœur en une série de cinq panneaux de tapisserie portant ses armes tissées et timbrées de la crosse et de la mitre, qui racontent la vie de Saint Martin.

Un donateur prestigieux pour une petite collégiale à l’ombre des papes

Montpezat de Quercy était à l’époque médiévale une importante seigneurie appartenant à la famille des Prés. Une modeste chapelle dédiée à Saint Martin se dressait au pied du château tandis que l’église principale dédiée à St Just et saint Pasteur se tenait en contrebas du bourg de Montpezat. Le seigneur Pierre des Prés, né en 1280, commença sa carrière dans la magistrature royale après avoir obtenu son doctorat de droit de l’Université de Toulouse1. En 1317, le pape Jean XXII2 lui confia l’instruction du procès d’Hugues Géraud, évêque de Cahors, accusé avec plusieurs complices de tentatives d’envoûtement et de sorcellerie sur les personnes du pape et de certains membres de la Curie avignonnaise. Récompensé par l’évêché de Riez, puis l’archevêché d’Avignon, Pierre des Prés fut créé cardinal de Palestrina en 1323, avant de prendre en charge la diplomatie et les relations extérieures du Saint-Siège jusqu’à sa mort en 1361.

Il n’oublia jamais pour autant son Quercy3 natal qui profita de ses largesses : c’est ainsi qu’il fonda à Montpezat une petite communauté de religieux dans l’église Saint Martin. Le Pape Benoît XII transforma ce petit établissement en collégiale et un descendant de Pierre des Prés, Jean des Prés, en devint doyen en 1502. Il fit don de la tapisserie de Saint Martin à la Collégiale entre 1520 et 1530, alors qu’il venait d’être nommé évêque coadjuteur de Montauban.(1517). La décoration de la cathédrale de Montauban inspira ses commandes pour Montpezat , où fut d’ailleurs transporté le buffet d’orgues lorsqu’il offrit à sa cathédrale de nouvelles orgues, en 1538.

Cette tenture est traditionnellement attribuée aux ateliers flamands, peut-être tournaisiens. Restaurée par la Manufacture des Gobelins entre 1920 et 1927, elle a retrouvé un nouvel éclat après un nettoyage en 2001.

L’histoire de Saint Martin selon Sulpice Sévère

Cinq pièces présentant seize scènes de la vie de Saint Martin sont déployées contre le mur du chœur, et non plus au-dessus des stalles comme c’était le cas jusqu’en 1778. Chacun des épisodes est expliqué par un quatrain en vieux français placé dans une banderole rouge au-dessus de la scène. Ces scènes s’inspirent de la Vita sancti Martini de Sulpice Sévère, ainsi que de certaines variantes du récit du poète latin , la Vie et miracles de Monseigneur Saint Martin de nouvel translaté de latin en français (ouvrageanonyme publié à Tours en 1496, puis à Paris en 1500 et 1516, ainsi que du Mystère de saint Martin d’Andrieu de la Vigne joué en 14964 qui emprunta lui-même à Sulpice Sévère, à Jacques de Voragine et à Pean Gatineau. Sulpice Sévère pourrait être le clerc à bonnet carré tenant un livre sous le bras, présent auprès de Saint Martin dans la majorité des scènes représentées.

Pièce 1

Scène 1 : le partage du manteau : riches couleurs et élégance caractérisent le vêtement de Martin sortant de la ville d’Amiens, ainsi que le harnachement de son cheval. Sa précieuse épée fend le tissu de son manteau, ne lui en donnant que la moitié selon la règle de l’armée qui était propriétaire de l’autre moitié. Un cavalier maure le précède : on retrouve ce personnage dans d’autres scènes de la tapisserie de Montpezat.

Scène 2 : l’apparition en songe du Christ, portant dans ses bras la moitié du manteau et prononçant la phrase inscrite dans un phylactère blanc «  Martinus adhuc catecumenus hac me veste contexit »(«  Martin encore catéchumène m’a couvert de ce manteau »)

Scène 3 : le passage des Alpes « Es alpes depuis larons deux luy feirent quelque arestement, le vueillant rober mais ung de eulx mercy lui pria prestement » (Tandis qu’il traversait les Alpes, deux brigands l’arrêtèrent afin de le voler, mais l’un d’eux lui demanda vite pardon)

Scène 4 : le sacre

Pièce 2

Scène 5 : la destruction d’un temple païen

Scène 6 : le miracle du pin. Comme dans la scène 5, le tapissier a modifié le récit de Sulpice Sévère : Martin, par un signe de croix, éloigna le pin, arbre sacré des païens, destiné à l’écraser, pour qu’il tombât à côté et non sur les païens qui se convertirent au christianisme. Sur cette scène en revanche, les païens sont bien tués par l’effondrement de l’arbre.

Pièce 3 :

Scène 7 : Deuxième destruction d’un temple païen

Scène 8 : les miracles de Trèves : Martin opère de nombreuses guérisons dans cette ville :celle d’une jeune paralytique, et celle du serviteur du consul Tetrardius possédé du démon ,dont un petit diable ailé s’échappe de la bouche au moment où Martin le bénit.

Scène 9 : la guérison du lépreux (au bonnet rouge), scène rapportée par Jacques de Voragine dans La légende dorée. L’église où officie Martin reprend les canons de la Renaissance.

Pièce 4 :

Scène 10 : le diable fait chuter Martin : récit absent des écrits de Sulpice Sévère et de Jacques de Voragine. Le diable est représenté deux fois, l’une où il fait tomber Martin, l’autre à l’arrière-plan alors que des serviteurs le portent vers son lit, sous le regard moqueur d’un singe enchaîné à un billot.

Scène 11 : l’apparition de la Vierge : Martin est soigné par les anges qui entourent la Vierge, élégamment vêtue mais sans voile. « Qui lui fust de nuict aporte par la vierge et mère Marie, dusquel fust oint et conforte dont sa froissure fut guérie » (« qui lui fut apporté la nuit par la Vierge et mère Marie avec lequel il fut oint et sa blessure guérie »).

Scène 12 : l’apparition du diable : elle se situe dans la cellule monacale de Martin, d’après Sulpice Sévère, et non dans un riche palais comme représenté sur cette scène, avec un diable habillé d’or et d’hermine comme un souverain.

Pièce 5

Scène 13 : le miracle du feu, épisode rapporté par Sulpice Sévère dans « Lettre à Eusèbe » : le diable affublé d’ailes de chauve-souris et les pieds fourchus, crache sur la paille où se repose Martin pour l’enflammer, mais l’intervention divine sous forme de rayons de soleil perçant les nuages, sauve le saint des flammes.

Scène 14 : la messe de Saint Martin, l’épisode sans doute le plus célèbre. En route pour célébrer la messe, Martin s’impatiente car son diacre tarde à faire l’aumône au pauvre à l’entrée de l’église : il lui tend alors son manteau pour revêtir lui-même la tunique apportée au miséreux. C’est la « seconde charité » de Martin que des anges parent de lourds bracelets pour cacher la nudité de ses bras. (épisode inventé par la cartonnier) alors qu’une flamme vient du ciel le couronner. Une multitude de détails agrémente la scène : réserve eucharistique suspendue au-dessus de l’autel au moyen d’une crosse terminée par un ange aux ailes déployées, retable orné d’une représentation de Moïse entouré d’anges thuriféraires, coffre à décor de plis de serviette, mitre précieuse, missel à tranche dorée et filetée, antependium orné de quadrilobes.

Scène 15 : les commères. Le message délivré par cette dernière scène est clair : il vaut mieux écouter la messe que bavarder, car le Diable toujours poilu aux ailes de chauve-souris veille et consigne tout sur son parchemin. L’intérieur de l’église représentée est de style Renaissance et on y trouve de nombreux détails : pyxide, crosseron, retable avec Moïse, missel, baldaquin circulaire, burettes d’étain, faldistoire(fauteuil réservé aux évêques), coffre à poignées trilobées.

La Collégiale renferme en outre un trésor témoignant, comme la tapisserie de Jean des Prés,

d’une splendeur passée : baptistère en bois polychrome du XVIe siècle, Vierge aux colombes(années 1340), retable en cinq plaques d’albâtre polychrome réalisé au début XVe siècle par les ateliers de Nottingham, Pietà en grès peint de la fin du XVe siècle, coffret de mariage du XVe siècle, gisants en calcaire peint du cardinal Pierre des Prés et d’un de ses neveux , un autre Jean des Prés, évêque de Coïmbra, et plusieurs tableaux du peintre toulousain Bernard Bénézet(1835-1897).

La tapisserie de Jean des Prés a été classée monument historique dès 1898.

Bibliographie 

«  Montpezat de Quercy, la collégiale Saint Martin » d’Emmanuel MOUREAU, Amis de la collégiale Saint Martin ,2009, Editions Edicausse 46090 ARCAMBAL
« Le trésor de l’église de Montpezat » Chanoine Firmin Galabert, 1918, imprimerie J.Thévenot .

Article publié dans la revue Una Voce n°337 de Mai – Juin 2022

  1. l’Université de Toulouse a été fondée en 1229 par Raymond VII, comte de Toulouse, à la suite du traité de Meaux de 1229 par lequel Raymond VII dut céder au roi de France Louis IX la partie orientale de son territoire( et au Saint-Siège le marquisat de Provence, devenu comtat venaissin). Par ce même traité, était prévu l’entretien pendant dix ans de quatorze professeurs pour l’Université, consacrée « Studium » par le pape Grégoire IX.
  2. Le cadurcien Jacques Duèze.
  3. Quercy : le pays des chênes (quercus).
  4. Secrétaire des ducs de Savoie Amédée, Philippe 1er, Philibert le Beau, et rédacteur pour le roi Charles VIII du « Journal de l’expédition de Naples »(1495)