Dom André Bouton, Moine Imagier (1914-1980)

Les manuscrits enluminés par les moines dans les abbayes bénédictines destinés à une riche clientèle royale et seigneuriale ont permis de développer une créativité, un génie inventif en matière d’illustration des textes sacrés, que les moines n’ont pas hésité à mettre dès le Moyen Âge au service de l’édition d’indulgences et d’images gravées sur bois destinées à tous ceux qui ne pouvaient acquérir de luxueuses œuvres d’art.

C’est dans cet art « populaire » qu’excella le moine André Bouton dit « FRAB », passionné de dessin, qui était entré à l’abbaye Saint Paul de Wisques à 20 ans et fut ordonné prêtre à Orléans en 1940, juste avant d’être mobilisé. Ayant été blessé et fait prisonnier, il s’évada de l’hôpital où il était soigné en Belgique et séjourna un an à l’abbaye Saint Pierre de Solesmes. C’est là qu’il commença à publier des chroniques de guerre pour soutenir les moines prisonniers par des récits illustrés de la vie de la Communauté. Après la guerre, il développa à Wisques un atelier de céramique, puis épanouit son talent de graveur dans les ateliers d’art de l’abbaye, réalisant des miniatures et des images peintes à la main et recherchant des techniques de reproduction faciles, ce qui l’amena de la gravure sur bois à la linogravure (technique de gravure en taille d’épargne sur linoléum).

Il quitta Wisques en 1949 pour le Maghreb : en Algérie et au Maroc où il décora des églises avec son frère Jacques, et accompagna la fondation du monastère de Tlemcen sous l’impulsion de Dom Raphaël Walzer (de Beuron, Allemagne). Diplômé de l’École biblique de Jérusalem en 1963, il a réalisé dans cette ville les fresques de la chapelle abbatiale de la Dormition (Bénédictins de Beuron extra congregationes, dépendant directement de la confédération bénédictine). Il poursuivit son apostolat au Vietnam où il a décoré une dizaine d’églises dont les cathédrales de Pusan et de Daejeong. Rapatrié en France (à Wisques) en 1977 alors qu’il se trouvait au Japon, il est décédé à Lille en 1980.

La « Règle de Saint Benoît » illustrée

L’éditeur Goossens, spécialisé dans les beaux livres au sein de sa maison Le Grenier à Sel, souhaitait publier une Règle de Saint Benoît à l’occasion du quatorzième centenaire de la mort de saint Benoît. Ce code monacal vénérable n’avait plus fait l’objet d’une présentation artistique luxueuse depuis les tout premiers incunables de Venise et Paris (XV- XVIe) et l’édition Regula emblematica de 1780 de Melk (Dom Gallner).

Ayant retenu le texte de Dom Calmet (1734), l’éditeur souhaitait que le graveur fût très au fait du sujet : la recherche d’un bénédictin talentueux en linogravure ne pouvait qu’aboutir à Dom Bouton. La maîtrise de sa technique du clair-obscur qui a satisfait l’éditeur peut déconcerter par sa facture très « moderne », tempérée par des lettrines rouges plus classiques. Le texte est présenté en français et latin (le latin en italiques) en caractère « Garamond ». Le coffret est en trois couleurs, gravé d’effigies de saint Benoît et sainte Scholastique dans la manière des estampes populaires que Dom Bouton maîtrisait aussi très bien. Sa facture est très représentative de l’« art sacré » : l’artiste et le religieux au service du Beau.

Image funéraire inspirée de Péguy, Dom Bouton

Bibliographie

« Frab, Frère André Bouton moine et artiste » de Marie Lehy, Michel Rossi, Michel Tillie, Père Vianney Arnauld, Editions de Solesmes 2012, 80 p. 11 euros.
« Un moine imagier : Dom André Bouton : de l’imagerie populaire au livre de luxe » de René Saulnier, in « L’artisan et les arts liturgiques » N°1, XVIIIe année, 1949.

Article publié dans la revue Una Voce n°338 de Septembre – Octobre 2022