Willa Cather : « la mort et l’archevêque »


L’auteure américaine, Willa Cather (1873-1947), considère cet ouvrage écrit en 1927 comme la meilleure de ses œuvres. Elle y raconte de façon romancée la vie au Nouveau Mexique d’un jeune prêtre français qui a quitté son Auvergne natale pour participer à la mission d’évangélisation des Indiens d’Amérique au XIXe siècle. Sur ce sujet qui ferait polémiques aujourd’hui, l’auteur décrit la splendeur aride de la région (qu’elle a parcourue), l’humilité de son héros, qui finira archevêque de Santa Fé, dans la façon d’aborder sa mission, et les questions que pose à cette auteur qui ne revendique pas elle-même de religion le sacrifice de ces prêtres et leurs renoncements au nom de leur vocation. Le père Jean Baptiste Latour, après la construction en grès local de la basilique Saint François de Santa Fé, sur le modèle d’une église française, rentra en France pour y finir ses jours, et se ravisa, retraversant l’Atlantique pour revenir mourir à Santa Fé (voir l’article « églises et sanctuaires du Nouveau Mexique », sur ce site).

« De la mer plane de sable rouge s’élevaient de hautes mesas, à la silhouette généralement gothique, pareilles à d’immenses cathédrales. Cette plaine, jadis, aurait tout aussi bien pu être une ville gigantesque, dont le temps aurait détruit les quartiers les plus insignifiants ne laissons debout que les édifices publics, – amoncellement architecturaux semblables à des montagnes. Le sol sablonneux de la plaine était parsemé de genévriers, taché ici et là de grosses masses d’herbe de Guttierez, cette plante olivâtre qui croit en hautes vagues comme une mer agitée, et couverte en cette saison d’un chaume fleuri jaune comme les genets ou oranges comme les soucis. Cette plaine de mesas semblait être d’un âge impressionnant ; elle paraissait inachevée, comme si, ayant rassemblé tous les matériaux nécessaires à la construction du monde, le créateur avait abandonné son entreprise, s’en était allé en laissant tout sur le point d’être assemblé, à la veille de se voir constituer en montagne, en plaine ou en plateau. Cette contrée continuait d’attendre qu’on la transformât en paysage.

La coutume indienne était de s’évanouir dans le paysage et non de se dresser contre lui. Les villages Hopi installés sur les mesas rocheuses étaient conçus pour ressembler à la roche sur laquelle ils se dressaient et, de loin, ne pouvaient s’en distinguer. Les huttes Navajo parmi le sable et les saules étaient faites de sable et de saule. Lorsqu’il quittait le rocher, l’arbre ou la dune qui les avait abrités pour la nuit, le Navajo prenait soin grand soin d’effacer jusqu’à la moindre trace de leur séjour temporaire. Il enterrait les braises et les restes de nourriture, il répandait les pierres qu’ils avaient pu empiler comblaient les trous qu’ils avaient faits dans le sable. Le père Latour en conclut que de même que l’homme blanc affirmait sa présence au sein des paysages en les changeant et en les modifiant, assez du moins pour y imprimer une marque quelconque de son passage, l’Indien, lui, traversait les pays sans y rien déranger passait sans laisser de traces tel un poisson dans l’eau ou les oiseaux fendant l’air.

Les pères espagnols qui étaient montés vers Zūni ,puis, plus au nord en pays Navajo à l’ouest, en pays Hopi et vers l’est, dans tous les pueblos éparpillés entre Albuquerque et Taos, étaient arrivés ,eux ,en terre hostile ne portant guère pour tout bagage que leur bréviaire et leur crucifix .Quand les indiens leur volaient leurs mules, ainsi qu’il arrivait souvent, ils continuaient à pied sans habits de rechange, sans vivres et sans eau .Il était pratiquement impossible à un Européen de s’imaginer pareilles épreuves .Les vieux pays avaient pris la forme même de la vie humaine étaient devenus pour l’homme investiture une sorte de second corps. Là-bas, herbes sauvages, fruits sauvages et champignons de la forêt étaient comestibles. De l’eau douce coulait dans les ruisseaux, les arbres fournissaient ombre et abri. Mais dans les déserts, les trous d’eau étaient empoisonnés et la végétation n’avait rien à offrir à l’homme. Tout y était sec, piquant et coupant et l’homme, enfin, rendu cruel par une existence cruelle. Ces missionnaires des premiers jours s’étaient jetés nus contre le cœur dur d’un pays fait pour éprouver leur résistance de géants. Ils avaient eu soif dans ces déserts, faim parmi ces rochers, avaient gravi et descendu ces terribles canyons, les pieds meurtris par les cailloux, mis fin à d’interminables jeunes en ingérant de sales et répugnantes nourritures. Ces hommes avaient assurément éprouvé « la faim, la soif, le froid et la nudité » à un point que ni Saint Paul ni Saint frères n’aurait pu concevoir. Quelles qu’aient été les souffrances des premiers chrétiens, ils les avaient supportées au cœur protégé du petit monde de la Méditerranée, parmi les us anciens et les anciens repères. S’ils avaient souffert le martyre, du moins étaient-ils morts parmi leurs frères, on avait conservé leurs reliques et leur nom vivait toujours dans la bouche des saints.

Il ne savait pas à quel moment au juste {cet air} lui était devenu si indispensable, mais s’il était revenu mourir en exil, c’était à cause de lui. Quelque chose de doux, de sauvage et de libre, quelque chose qui parlait en murmures à l’oreille reposant sur le traversin, rendait le cœur plus léger, crochetait doucement, tout doucement la serrure, faisait glisser les verrous et rendait l’âme humaine prisonnière à la liberté du vent, à la liberté du bleu et de l’or, et libre la rendait au matin ! »

Willa  Cather, la mort et l’archevêque

Louis Bertrand (1866-1941)

Auteur prolifique, Louis Bertrand qui admirait Flaubert est tombé dans l’oubli, ou y est maintenu, à cause d’un essai controversé sur Hitler paru en 1936. Dans les cinq années qui séparent la parution de cet essai de son décès en 1941, il s’abstiendra de toute participation au débat public. Son roman « L’invasion » dont sont extraites les lignes qui suivent a été publié en 1907.

Ce qui nous intéresse ici est son écriture, son style qu’on a comparé à celui de Balzac. Mais un Balzac qui aurait décrit les usines. Ainsi que Michel Colle a peint en 1909 les hauts fourneaux de Pompey en Lorraine.

Le soleil venait de se voiler. Tout le golfe avait l’éclat pâle et frigide du mercure. Cette grande surface déserte miroitait immensément jusqu’à la courbe grisâtre des falaises, et les barques de pêche arrêtées au large se détachaient, toutes noires, comme des bassins d’ébène sur un pavé d’argent. (…) sur un épaulement de terrain qui s’avançait vers le rivage, à la façon d’un promontoire, dominée par les escarpements rocheux d’une blancheur livide, comme flottante sous un tissu de nébulosités bleuâtres, une cité fantastique avait surgi dans les profondeurs brouillées de l’atmosphère. C’était l’usine, assise au creux de cet entonnoir, parmi ses vapeurs fétides- l’usine tellement transfigurée par les illusions du couchant qu’on eût dit une vieille cité féodale, resserrée sur sa colline, avec la couronne de ses remparts, les créneaux de ses tours, les flèches de ses églises. Quand le brouillard devenait plus dense, tout se confondait, puis une confuse et monstrueuse cathédrale semblait s’ébaucher sous le ciel du Nord. Des rouges brique, des bruns ferrugineux émergeaient de la pénombre lilas et mauve, des lignes plus claires marquaient les arêtes des murs, et toutes les vitres frappées par le rayonnement solaire avaient des reflets d’incendie. Au-dessus des bâtisses indistinctes, une couche épaisse de fumées stagnait, alimentée sans cesse par les hautes cheminées jamais éteintes ; grises, blondes, rousses, jaune d’or ou couleur de prune, elles se dégorgeaient à gros bouillons, comme des cataractes artésiennes qui jaillissent à ras du sol, ou elles planaient légères, ténues et diaphanes, comme des flocons de soie blanche dans la limpidité nacrée du firmament.

« L’invasion », Louis Bertrand.

Elisée RECLUS (1830-1905)

Géographe, militant anarchiste, écrivain, écologiste avant l’heure… et poète

Histoire d’un ruisseau

L’histoire d’un ruisseau, même celui qui naît et qui se perd dans la mousse, est l’histoire d’un infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécules de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots ; le soleil, dans sa course journalière, les a fait resplendir des reflets les plus éclatants ; la pâle lumière de la lune les a vaguement irisées ; la foudre en a fait de l’hydrogène et de l’oxygène, puis d’un nouveau choc, fait ruisseler en eau ces éléments primitifs.(…) ce ruisseau, je l’ai trouvé partout, c’est la Dronne, c’est la Vézère, la Vanne, l’Almandarez, que sais-je !

Histoire d’une montagne

J’aimais sa face calme et superbe éclairée par le soleil quand nous étions déjà dans l’ombre. J’aimais ses fortes épaules chargées de glaces aux reflets d’azur, ses flancs où les pâturages alternent avec les forêts et les éboulis ; ses racines puissantes s’étalant au loin comme ceux d’un arbre immense, et toutes séparées par des vallons avec leurs rivelets, leurs cascades, leurs lacs et leurs prairies : j’aimais tout dans la montagne, jusqu’à la mousse jaune ou verte qui croît sur le rocher, jusqu’à la pierre qui brille au milieu du gazon.

Histoire d'un ruisseau Histoire d'une montagne

L’orage et les tombes de la steppe

Anton Tchekov (1860-1904), auteur russe prolifique de pièces de théâtre et de romans a écrit en 1888 « La steppe », la virée par la steppe du jeune Iégorouchka qui quitte ses parents pour entrer au collège à des centaines de kilomètres de chez lui, accompagné par son oncle dans une voiture à cheval. Une plume trempée dans le vent et le ciel qui délimitent vaguement ces vastes étendues de Russie, pour ce voyage initiatique auquel la splendeur et la majesté de la nature en ses expressions minérale, végétale et animale servent d’écrin. Si précisément décrite qu’un film en a été tiré, « La steppe » ( Sergueï Bondartchouk, 1978). Tchekov voulait qu’on lût son récit « comme un gourmet mange les bécasses ». Laissons-nous aller avec lui à notre appétit des mots.

« Un éclair brilla si fort qu’il illumina une partie de la steppe jusqu’à l’endroit où le ciel rencontrait l’obscurité. Un nuage effrayant s’avançait sans hâte de toute sa masse compacte ; au bout pendaient de grands lambeaux noirs ; des lambeaux tout pareils, s’écrasant les uns sur les autres, s’entassaient à droite et à gauche de l’horizon. Cet aspect haillonneux, décoiffé, donnait au nuage une allure d’ivresse, de canaillerie. Soudain le vent fila en sifflant à travers la steppe, tournoya au hasard, et fit dans l’herbe un tel bruit qu’on n’entendit plus le tonnerre ni le grincement des roues. Soufflant hors du nuage noir, il apportait avec lui des nuées de poussière et l’odeur de la pluie et de la terre humide. Le clair de lune s’embruma, s’encrassa presque, les étoiles se renfrognèrent encore plus, et l’on vit, le long de la route, les nuées de poussière et leurs ombres rebrousser chemin. On aurait cru que les tourbillons qui tournoyaient, arrachant à la terre sa poussière, ses herbes sèches et ses plumes, montaient jusqu’au ciel et à travers la poussière qui engluait les yeux, on ne voyait plus rien que l’éclat des éclairs. La noirceur du ciel ouvrit sa gueule et souffla un feu blanc. Aussitôt le tonnerre tonna de nouveau. Il y eut un ruissellement, un martèlement sur la route, sur les brancards, sur le ballot ; C’était la pluie. La pluie et la bâche, comme si elles s’étaient comprises, entamèrent un bavardage rapide, odieux et gai, comme deux pies. Sur les filets d’eau qui qui sillonnaient la bâche, il vit cinq ou six fois cligner une lumière corrosive, aveuglante. Le ciel ne tonnait plus, ne grommelait plus : il produisait des craquements secs, semblables à ceux du bois mort. Au début, les éclairs n’étaient qu’effrayants. Maintenant, mêlés à ce tonnerre-là, ils semblaient de mauvais augure. Leur lumière ensorcelée traversait les paupières closes et répandait des coulées de froid par tout le corps ».

Lorsqu’on regarde longuement un ciel profond, sans en détacher les yeux, on ne sait pourquoi les pensées et l’âme s’unissent en un sentiment de solitude. On commence à se sentir irréparablement seul, et tout ce qu’on avait naguère cru proche et cher devient infiniment lointain et perd tout prix. Ces étoiles, qui regardent du haut du ciel depuis des millénaires, ce ciel insaisissable et les ténèbres, indifférents qu’ils sont à la vie brève de l’homme, lorsqu’on demeure seul à seul avec eux et qu’on essaye d’en comprendre le sens, accablent l’âme par leur silence. On songe à la solitude qui attend chacun dans la tombe, et l’essence de la vie apparaît désespérée, atroce. () une tombe solitaire a quelque chose de triste, de rêveur et de poétique au plus au plus haut point…on l’entend se taire, et dans ce mutisme on sent la présence de l’âme de l’inconnu qui repose sous la croix. Cette âme se sent-elle à l’aise dans la steppe ? Ne se languit-elle pas par clair de lune ? Et la steppe qui entoure la tombe semble triste, maussade et pensive, l’herbe plus affligée, et les criquets crient à voix plus contenue… pas un passant qui ne dise une prière pour cette âme solitaire et ne se retourne pour voir la tombe jusqu’à l’instant où elle se couvre de ténèbres.

L’invasion (« Roman contemporain ») de Louis Bertrand (1866-1941)

L’« invasion » fait référence à l’immigration des Italiens venus du Piémont à Marseille à la fin du XIXe siècle . Une véritable immigration de travail puisque ces Piémontais recherchaient à s’embaucher comme ouvriers agricoles dans les vignes du Var, comme dockers sur le port de Marseille (leur spécialité étant le charbon) ou comme ouvriers dans les usines : conserveries, fonderies, usines chimiques. L’héroïne, Marguerite, était institutrice dans son village jusqu’à ce qu’elle rejoigne à Marseille son mari, chef mineur, au terme d’un périlleux voyage en mer avec ses trois enfants. Leurs espoirs, l’accueil mitigé qui leur est fait collectivement, l’accueil généreux qui leur est fait individuellement, leurs efforts d’intégration qui aboutissent, leurs amours contrariées, dans une ambiance cosmopolite et agitée de grèves, sont finement décrits.

Auteur prolifique, Louis Bertrand qui admirait Flaubert est tombé dans l’oubli, ou y est maintenu, à cause d’un essai controversé sur Hitler paru en 1936. Dans les cinq années qui séparent cette parution de son décès en 1941, il s’abstiendra de toute participation au débat public.
Ce qui nous intéresse ici est son écriture, son style qu’on a comparé à celui de Balzac.

Il y a ainsi dans ce roman écrit en 1907 de superbes descriptions de Marseille «  L’air était saturé par les émanations crapuleuses des restaurants, des cabarets, des épiceries populaires : odeur d’ail et de piment, de salaisons et de fromages, relents de marée, fétidité chaude des sueurs et des haleines.Une vapeur de lubricité semblait suinter des murs, se répandre à travers les rues et submerger toutes choses avec l’irrésistible puissance d’un élément. (…) enfin, entre les bordures des toits, on apercevait les arcades de l’hôpital, toutes pâles dans la nuit, et comme drapées d’un fantastique suaire. »

« Autour du chaland, les eaux mortes du Bassin national miroitaient comme un immense vestibule tout dallé de marbre où personne ne passait plus, et les canaux de jonction se déployaient, pareils à de grands corridors rigides et glacés. Dans le lointain, sous le bleuissement des vapeurs, glissaient les vergues d’un vaisseau-fantôme. Des clartés pâles et scintillantes comme le diamant, des feux rouges, d’autres d’un vert livide s’allumaient le long des quais et dans les mâtures des navires. Dans la ville ensevelie sous les fumées et les brumes, de soudaines aurores boréales projetées par les fourneaux des fonderies enveloppaient d’une lueur sanglante les bâtisses et les cheminées d’usines. De l’autre côté, c’étaient les houles infinies de la mer et le battement lugubre du flot contre les môles. Des cris d’hommes, des claquements de fouets, des hennissements de chevaux, une vaste rumeur indistincte semblait lutter contre l’envahissement de l’ombre.

Les ombres s’épaississaient encore. Les contours de la ville se discernaient faiblement sous une trame de fumées blanches, sous un immense linceul couleur de scabieuse.Du côté du ponant, le firmament se liquéfiait en coulées de nacre et de bronze rouge, embrassant les fenêtres des maisons, et tout le long des quais, les lampes électriques scintillaient soudain, comme des lucioles dans un hallier. Étoilés par les points d’or des phares, les deux bars de la jetée s’allongeaient immensément, parmi les houles d’émeraude d’hyacinthe vers un pays de rêve. (…) et par-dessus les monts Saint Cyr, aube illusoire qui rosissait les cimes, dans une pâle clarté d’or, la lune surgissait, comme un soleil levant.

Récits et carnets de voyage, de J.K. Husymans (1848-1907) ARTHAUD, 2022

La littérature de voyage est aujourd’hui une catégorie à part entière, alimentée par une pléthore de publications où chacun raconte son voyage, en des textes dont l’ennui rappelle les séances de « diapos » que les voyageurs de la fin du XXe siècle, assénaient à leurs hôtes entre le dessert et le café, de quoi somnoler plus ou moins béatement.
D’où la surenchère que se livrent les éditeurs, chacun se sentant légitimé à partager son expérience, ses « bons plans » ou son carnet secret (qui dès lors, ne le sera plus) dès lors qu’il a parcouru un tronçon de la route de la soie ou du chemin de Compostelle. L’aventure n’est pas de découvrir des terres inconnues : il n’y en a plus. L’aventure est bien de découvrir des terres inconnues de soi. Il n’est pas donné à tout le monde d’en parler avec finesse.

C’est pourquoi les carnets de voyage de Huysmans sont à recommander, comme une vraie expérience à partager : d’abord parce qu’ils furent écrits entre 1876 et 1904 et que c’est un témoignage des conditions dans lesquelles on voyageait à l’époque, ensuite parce qu’ils émanent d’un voyageur qui aimait visiter des lieux, mais n’aimait pas voyager pour s’y rendre.
Ainsi, le chapitre sur « le buffet des gares », « dont le patron qui est chez lui, ne voit que des malheureux qui regrettent leur chez-eux, mastiquant la pénitence filasse d’un veau tiède, les yeux fixés sur l’horloge » et celui sur le « sleeping-car, ce « cercueil houleux qui flotte » valent tous les « Routards » du monde !

Francfort, Cologne, Amsterdam, La Haye, Delft, Bruxelles, Bruges mais aussi Bourges, Dijon, Colmar, Bordeaux, Strasbourg et Reims sont ainsi recensées, en un florilège européen dont le fil conducteur est la beauté, le charme, que dégagent les lieux ; pour finir à Lourdes qui vaudra à Husymans d’écrire, outre les deux récits de 1903 et 1904 présents dans ce livre, l’ouvrage d’une spiritualité profonde autant que sceptique « les foules de Lourdes » (1906).

Huysmans promène sur tous ces lieux un élégant détachement parfois ronchon : sur les conditions de voyage, sur les lieux (beaucoup d’églises) et enfin sur les personnes croisées, non sans toujours chercher à comprendre les autres.

Ma dernière lecture « John Steinbeck Un artiste engagé »

Cet ouvrage publié par Gallimard en 2003 dans la collection « Du monde entier » reprend des chroniques et reportages, souvenirs personnels et essais politiques, écrits par John Steinbeck dans les années Cinquante du XXe siècle. « Un artiste engagé » est le titre donné par l’éditeur français, validé par ses héritiers qui ont mis à disposition certains textes. John Steinbeck s’est en effet « engagé » avec sa plume, contre le scandale social qui lui inspira « Les raisins de la colère », contre la guerre froide et la ségrégation, et a décrit avec acuité les champs de bataille de la Seconde guerre mondiale et de la guerre du Vietnam. Il a dépeint aussi l’Italie, l’Irlande, la France d’après-guerre, et l’Amérique (« L’Amérique et les Américains », son dernier essai publié en 1966, fait partie de ce recueil.)

Florilège

« Mon père fut un grand homme, comme tout père devrait l’être. Il m’a enseigné les règles que notre époque troublée et hystérique ne saurait à mon sens abroger. Mon père m’a appris à glorifier Dieu, à honorer ma famille, à me montrer loyal envers mes amis, à respecter la loi, à aimer mon pays, et à me révolter ouvertement et sur-le-champ contre toute forme de tyrannie, que ce soit celle d’une brute de bac à sable, d’un dictateur étranger ou d’un démagogue bien de chez nous. Et si c’est cela la trahison, alors, soyez d’excellents traîtres ».