Notre Dame de l’Assomption de Buda, bastion du christianisme hongrois

L’ÉGLISE aux TROIS NOMS

Cette magnifique église dominant la colline de Buda, sur les bords du Danube où s’épanouit la capitale de la Hongrie, a un passé si riche et mouvementé qu’elle peut être désignée sous plusieurs noms : «  La Grande Dame Bienheureuse » (signification de son nom en langue hongroise), « l’église Mathias (du nom de Mathias Corvin, roi de 1458 à 1490, qui en fit construire le clocher), et enfin « l’église du couronnement » car l’empereur François- Joseph d’Autriche et son épouse Elisabeth y furent couronnés empereurs d’Autriche-Hongrie en 18671, au son de la « Messe du couronnement » de Franz Liszt.

ÉGLISE, PUIS MOSQUÉE, puis ÉGLISE

La première mention de l’église Notre Dame de l’Assomption de la colline de Buda date de 1247, sous le règne du roi Béla IV. Construite sur son plan actuel entre 1250 et 1270,sur un plan proche de celui de la cathédrale de Lyon consacrée en 12452, elle reçut pour sa partie orientale la contribution du maître français Villard de Honnecourt. La fin de la dynastie royale des Arpàd en 1301 ouvrit une grande période d’instabilité qui prit fin avec la désignation comme roi de Hongrie de Charles Robert d’Anjou, candidat du pape (1309-1342). Son fils Louis le Grand (1342-1382)entama la première grande reconstruction de l’église en 1370.

La colline qui domine le Danube avait été dotée de fortifications après l’invasion mongole de 1241. Les travaux d’édification d’un château furent entrepris en 1430 par le roi Sigismond, digne héritier de son père Charles IV, le bâtisseur de Prague. Sigismond qui régna de 1387 à 1437 fut le premier souverain hongrois à faire de Buda sa résidence permanente. Ensuite, pendant les trente ans de règne de Mathias Corvin (1458-1490), la ville et l’église Notre Dame bénéficièrent de travaux complexes et de l’intervention des meilleurs artistes européens : le souverain magyar fit de la cour de Buda une des plus magnificentes d’Europe à la Renaissance : dons de Léonard de Vinci, de Verrochio, de Mantegna, et une bibliothèque de plus de quinze mille volumes3.

Soliman prit en 1541 la ville de Buda, qui devint turque et le resta jusqu’en 1686. Pour les Hongrois, cela symbolise une période de déclin, dont il ne reste que la culture des roses (souvenir du derviche Gül Baba, le seul Ottoman à avoir donné son nom à une rue de Budapest), la pratique des bains thermaux en ville, et l’introduction du café en 1579, bien avant Vienne et Paris). En une seule journée, en appliquant du crépi sur les murs et en brûlant son mobilier, les Ottomans transformèrent l’église Matias en mosquée, avant de détruire toutes les autres églises ou chapelles du château. De la tour construite par Mathias,le muezzin a lancé l’appel à la prière pendant 145 ans.

Après la reconquête de Buda en 1686, l’église devenue propriété des Jésuites a perdu son caractère médiéval au profit du style baroque .

C’est avec l’accession au trône impérial d’Autriche-Hongrie de François Joseph et d’Elisabeth, dite « Sissi », et par décret de 1873 que fut entreprise la restauration majeure de l’église Notre Dame de l’Assomption, sous la direction de Frigyes Schulek, entre 1874 et 1896. Son objectif était de rendre à l’ensemble composé de l’église Notre Dame, du château de Buda et du bastion des pêcheurs , sa splendeur passée.

La restauration de SCHULEK, SZÉKELY et LOTZ : Éclat et couleur

Les recherches attestant que l’église était peinte au Moyen Âge incitèrent SCHULEK à reproduire ce même programme décoratif, tant avec des fresques figuratives que des motifs géométriques. Les conseils de Frigyes SCHMIDT, l’architecte de la cathédrale de Vienne, sur l’importance de la mise en éclat et en couleur comme élément essentiel de l’art gothique, furent aussi déterminants.

Les anciens ornements vitrés ont été recrées par les trois artistes :les vitres plombées d’origine avaient été détruites pendant l’époque ottomane, et la plupart des fenêtres subsistantes avaient été murées pendant les transformations baroques. Ils élaborèrent en un précis partage des tâches les immenses verrières : vie de la Vierge au centre du mur Sud, et aux vitraux latéraux les membres de la famille du roi Bela IV, dont sa sœur Sainte Elisabeth.

Le Rosaire et l’épée

L’année 1456 fut critique pour la Hongrie : après avoir occupé Byzance, l’Empire ottoman lança son armée contre l’Europe. Le chef de l’armée hongroise bien inférieure en effectif,

Jean Hunyadi, avait fait graver sur son épée l’inscription suivante : «  Sancta Maria, patrona Hungariae, sub tuum praesidium confugio » (Vierge Marie, patronne de la Hongrie, je fuis sous ta protection ») et priait quotidiennement le chapelet accroché à la poignée de son épée. Le pape Calixte III assimila cette guerre à une croisade et lui envoya le franciscain italien Jean de Capistran qui rassembla une armée de trente mille personnes. Les deux héros priants remportèrent la victoire de Belgrade et repoussèrent ainsi les Ottomans pour soixante -dix ans. Le son quotidien de la cloche à midi à l’église Mathias rappelle l’invitation ainsi lancée à l’époque par Calixte III pour inviter les chrétiens à la prière pour la Hongrie lors de cette « croisade ».

Quelques semaines après leur triomphe, Jean Hunyadi et Jean de Capistran furent emportés par la peste4. La statue votive de la Trinité fut érigée sur le parvis en 1713 après les épidémies de 1691 et 1709.

L’Orgue

L’orgue construit en 1688 fut remplacé en 1690, incendié en 1723, reconstruit en 1747 puis 1768. Le buffet de l’orgue actuel a été préparé selon les plans de Schulek, et en 1907, à l’occasion du quarantième anniversaire de son couronnement, François-Joseph fit une donation pour reconstruire un orgue plus monumental. Terminé en 1909, il a encore connu des améliorations en 1931,1983,2009, 2014) et a été complété par un orgue de chœur en 2010. Ses 111 registres et 7771 tuyaux en font le plus grand orgue de toute la Hongrie.

Quant au chœur royal de Mathias, il surpassait en nombre et ,paraît-il, en niveau celui du pape. Inexistant évidemment sous l’ère d’occupation ottomane, il reprit son activité en 1688, ce qui en fait le groupe musical le plus ancien de Hongrie.

La dernière restauration ,entre 2006 et 2013, permit de refaire 6000 m2 de façades, 300 m2 de vitraux, 600 m2 de peintures des murs et 11.000 m2 de peintures décoratives, et toute la couverture du toit (150.000 tuiles de faïence majolique), ainsi qu’un nouvel autel face au peuple, consacré en 2013.

Même si la plupart des éléments de cette église ne sont plus les originaux, tant elle a connu de modifications et de reconstructions (environ une par siècle pendant quatre siècles) du fait des guerres, invasion ottomane, incendies provoqués ou accidentels, elle est bien le lieu saint de la communauté catholique de Hongrie, comme le proclamait Mgr Mindzenty, primat de Hongrie, en 1947 : « ici, devant les pieds de Marie, toute l’Histoire hongroise est représentée avec ses lumières et ses ombres, ses vertus et ses faiblesses, son apogée et ses péripéties. Hongrois, qui mets le pied sur cet escalier5, n’oublie pas : c’était l’union de la foi et du patriotisme qui rendait forte notre nation ».

Article publié dans la revue Una Voce n°329 de Novembre – Décembre 2020

  1. Le « Compromis » de 1867 a placé à la même altitude les deux têtes de l’aigle austro-hongrois, et posé le principe de la fidélité du peuple hongrois aux Habsbourg en échange d’une large autonomie de la Hongrie au sein de l’Empire, ce que « Sissi », qui maîtrisait bien la langue hongroise, a largement favorisé. Le Compromis prit fin en octobre 1918 à la fin de la Première guerre mondiale, ce qui laissa le temps à Charles IV et Zita de Habsbourg d’être également couronnés à Budapest en décembre 1916 en présence de leur premier enfant, le prince Otto alors âgé de quatre ans.
  2. Lyon était à l’époque le siège du pape Innocent IV qui y convoqua le Concile de Lyon pour lutter contre l’influence de l’empereur Frédéric Hohenstaufen.
  3. Les œuvres et objets d’art aujourd’hui présentés dans une dizaine de pièces du Palais royal de Budapest ne donnent qu’un petit aperçu de cet Âge d’or.
  4. Saint Jean de Capistran est fêté le 23 octobre, jour de sa mort en 1456. Les Hongrois sont sensibles au fait que c’est cinq cents ans plus tard, le 23 octobre 1956, que commença ce qu’ils appellent « La nouvelle guerre d’indépendance ».
  5. L’escalier du « bastion des pêcheurs » permet d’arriver au sommet de la colline. Autrefois habité par les pêcheurs du Danube, le bastion a été reconstruit en 1906.