Les Sacromonti du Piémont

Une catéchèse à ciel ouvert au XVIème siècle

Les Sacromonti (« Monts sacrés ») de l’Italie du Nord sont des sanctuaires composés de chapelles et petits édifices dont la riche décoration de statues de terre cuite et de fresques racontent l’Evangile et la vie des saints. Destinés à édifier une population analphabète, à mettre en scène de façon réaliste la figure rédemptrice du Christ et de la Vierge Marie, ils sont nés de la volonté de moines-voyageurs, de groupes de familles nobles du Piémont et de Lombardie, de corporations. Leur réalisation a fait appel aux meilleurs artistes de l’époque, restés discrets, et aux artisans locaux tout aussi discrets qui ont élaboré portes et grilles en bois et en fer.

En plus de leur signification symbolique et spirituelle, qui leur a valu l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 2003, ils possèdent des qualités de beauté et d’agrément résultant de la construction en zone boisée dans un environnement naturel de collines, de forêts et de lacs. Ces zones sont elles-mêmes classées au titre de la protection du cadre naturel par la région Piémont.

Partant de l’arc des Alpes occidentales, ces neuf Sacromonti ont été érigés dans une zone comprise entre, au Nord, la frontière suisse (Domodossola) et les lacs de Varese, de Côme et d’Orta (Varallo, Ossuccio, Orta San Giulia, Ghiffa, Varese) et au Sud les villes de Milan et Turin (Belmonte di Valperga, Oropa, Serralunga di Crea).

Un modèle artistique singulier

Le modèle artistique qui prévaut s’appuie sur une certaine dramatisation qui domine la piété du Moyen Age et de la Renaissance, que l’on retrouve par exemple dans la Pietà de Monestiès (Tarn) commandée par Louis d’Amboise, évêque d’Albi, en 1490, ou celle de l’enclos paroissial de saint Herbot (Finistère) en calcaire polychrome.

La volonté de représenter de façon réaliste les scènes majeures de l’Evangile, à destination des fidèles et des pèlerins, est manifeste et de nombreux personnages ont été sculptés en terre cuite d’après modèles, tandis que le parcours entre les différentes chapelles utilisait le relief naturel : grottes, anfractuosités de rochers, montées plus ou moins abruptes. Malgré une production importante, les principaux sculpteurs : Pietro Giuseppe Auregio, Gaudenzio Ferrari, les frères D’Enrico, Dionisio Bussola, Agostino Silva, et les peintres, les frères Galliari, Carlo Nuvolone, Stefano Maria Legnani, ont laissé une faible empreinte à la postérité.

L’évangélisation en pleine nature

Les sites choisis ont en commun leur caractère sauvage, et la pré-existence d’un sanctuaire ancien – le plus souvent un sanctuaire marial – voire d’un temple romain. La première tentative de faire correspondre la topographie des lieux avec les lieux saints, comme ce fut le cas à Varallo, fut abandonnée au profit d’une architecture et d’une statuaire narratives selon la chronologie de l’Evangile.

C’est à Varallo que le moine franciscain Bernardino Caimi, de retour de Jérusalem en 1478 après avoir exercé la charge de gardien du Saint Sépulcre, eut l’idée de reproduire les lieux saints de Palestine afin de permettre aux fidèles d’effectuer sur place le pèlerinage considéré comme une étape importante du processus de recueillement, de prière et de méditation sur la vie du Christ. Il a probablement obtenu le soutien du duc de Milan Ludovic le More : celui-ci pouvait être intéressé par un projet favorisant l’afflux de pèlerins et une pacification sociale, ainsi qu’un meilleur contrôle politique d’une région pauvre mais soumise à l’influence de la Savoie voisine. Dans la foulée, la noblesse locale apporta sa contribution, et l’accord du pape Innocent VIII fut donné en 1486.

Varallo, « la nouvelle Jérusalem »

Les quarante-cinq chapelles de Varallo abritent neuf cents statues et quatre cents peintures ou fresques, et le sculpteur Gaudenzio Ferrari inspira ses collègues contemporains pour d’autres Sacromonti. À 600 m d’altitude, en province de Valsesia et proche du lac d’Orta, c’est le plus ancien et le plus important des Sacromonti. La « nouvelle Jérusalem » devait être la reproduction exacte des sites lointains de la tradition chrétienne, à l’usage de tous ceux qui ne s’y rendraient jamais. La mise en scène volontairement réaliste, visait à impliquer le croyant dans le spectacle. Voyageant à Varallo en 1608, le peintre Frederico Zuccari1 a pu écrire dans son ouvrage « Passage par l’Italie » : “ La vision des chapelles fait, d’ordinaire, pleurer les femmes, tandis que la vision de l’Enfer dans les souterrains du château de Cardellona figuré sous la fresque du Paradis de Crea, est tellement effrayante que les femmes et les enfants craignent de s’en approcher “.

Orta, « L’Alter Christus »

Dédié à St François d’Assise, le Sacromonte d’Orta est situé dans un cadre naturel splendide, au bord du lac d’Orta, à l’aplomb de la petite île de San Giulia d’Orta. Vingt chapelles présentent, en fresques et groupes de personnages en terre cuite, les principaux épisodes de la vie de St François d’Assise.

Varese, « la Via sacra du Rosaire »

Le sanctuaire aurait existé dès le IVème siècle, élevé sous Saint Ambroise en action de grâces pour la victoire sur les Ariens. Quatorze chapelles présentent la vie de la Vierge, dont la Crucifixion qui comporte cinquante statues.

Belmonte, un lieu de miracles ?

Le culte marial était en vigueur à Belmonte dès le début de l’an mille, initié par Arduin. Gouverneur de la marche d’Ivrea, couronné Roi d’Italie puis détrôné par l’empereur Henri II en 1004, Arduin endossa l’habit monastique et fit construire ce sanctuaire à la Vierge en remerciement pour sa guérison. Une autre guérison miraculeuse mal documentée y aurait eu lieu par la suite. Sa construction débuta en 1712 et se poursuivit jusqu’en 1825. Il est consacré à la Passion du Christ.

CREA

Construit en 1589, Crea prend place également sur les lieux d’un sanctuaire marial. La suppression des ordres religieux voulue par Napoléon en 1801 a entraîné l’abandon des lieux, mais le Sacromonte fut reconstruit au XIXème siècle.

GHIFFA, DOMODOSSOLA et la « Via Crucis »

Le Sacromonte de Ghiffa comprend seulement trois chapelles dédiées à Abraham, à la Vierge, et à St Jean Baptiste, plus deux plus petites représentant la Passion du Christ.

Celui de Domodossola, situé tout au Nord du Piémont à la frontière avec la Suisse, fut fondé en 1657 par des frères capucins sur le modèle de la Via Crucis, et terminé en 1828.

OROPA

Construit sur un siècle (1620-1720) Oropa fut financé par la communauté paroissiale, la ville de Biella et le Duc de Savoie, contrairement aux autres Sacromonti. Ses vingt chapelles mettent en scène la vie de la Vierge.

Ossuccio et le Rosaire

Ossuccio serait construit sur l’emplacement d’un ancien temple dédié à Cérès. Le lieu sauvage propose un parcours bucolique entre quatorze chapelles reprenant les mystères du Rosaire.

Ainsi, les Sacromonti sont un lieu privilégié de rencontre entre fidèles catholiques et amateurs d’art. En ces temps de commémoration de la Passion du Christ, les regards intenses et les postures de tous ces personnages aperçus à travers des grilles ajourées et provoquant parfois la stupeur et toujours l’admiration, nous invitent à tourner notre regard vers l’intérieur et à méditer les mystères de la foi catholique avec la même ferveur qui a animé les créateurs de ces lieux.

Article publié dans la revue Una Voce n°321 de Mars-Avril 2019

  1. Auteur du « Lazare ressuscité » (1561) et de « l’Adoration des mages » (1564) de la chapelle San Francesco della Vigna de Venise, du plafond de la chapelle Pauline de Rome, et du fameux tableau « La calomnie » où il affuble ses accusateurs de longues oreilles d’âne, ce qui le fit bannir de Rome par le pape Grégoire XIII ;