La Mare de Deu de Meritxell, sanctuaire majeur des Pyrénées et fleuron de l’architecture catalane

À l’heure où les cathédrales brûlent, il est bon de se souvenir que des destructions d’églises ont parfois été suivies d’une flambée de la foi, d’une créativité fervente au service de la reconstruction, et du retour des dévotions.

L’exemple du sanctuaire de Meritxell, en Principauté d’Andorre, est significatif.

Une légende préside à la dévotion toute spéciale que les Andorrans rendent à la « Mère de Dieu ou « Notre Dame » de Meritxell, qu’ils considèrent comme leur guide spirituelle, au point d’affirmer que la Principauté ne s’explique pas sans elle.

Cette légende concerne le lieu d’édification d’une chapelle primitive, dans ces montagnes situées au « midi » -« meridies »- proche de cabanes d’alpage -« mereig » en catalan. En des temps si reculés que seule la tradition orale l’a transmis, un berger se rendant à la messe à Canillo pour la solennité des Rois, la festa de los Reyes du 6 janvier, vit un rosier sylvestre fleuri en plein hiver sous les branches duquel se trouvait une statue de la Vierge .Elle fut portée à l’église de Canillo et installée sur le maître autel.Mais le lendemain, elle avait disparu. Les paroissiens d’Encamp tout proche, constatant la réapparition de la statue au lieu même du rosier fleuri l’enfermèrent à double tour dans leur église, d’où elle fut également ravie. Elle fut retrouvée dans la neige, tombée en abondance autour du rosier toujours en fleurs, et il fut décidé de bâtir un sanctuaire exactement à cet endroit. C’est là aujourd’hui que se trouve le nouveau sanctuaire, après un incendie qui détruisit le sanctuaire primitif, et la statue, en 1972.

Charlemagne aurait accordé en 806 l’indépendance à ce territoire de 464 KM2, enclavé dans la partie orientale des Pyrénées en « pont » entre l’Espagne et la France, sous la forme d’une « charte de peuplement » ou carta pobla dont il n’existe pas de trace ; les textes relatifs à l’histoire de l’Andorre sont conservés dans une armoire à sept clés, chaque serrure correspondant à une paroisse et à un saint andorran: San Serni de Canillo, Santa Eulalia d’Encamp, San Corneli d’Ordino, San Iscle de La Massana, San Esteve d’Andorre la Vieille, San Julia de Loria et San Pere Martir de Les Escaldes.

Depuis 1278, le gouvernement de la Principauté relevait d’une seigneurie partagée le entre le comte de Foix et l’évêque d’Urgell, l’administration étant confiée à un conseil de viguiers. Ce « paréage » fut maintenu jusqu’en 1993, où fut votée la nouvelle Constitution d’Andorre qui a maintenu la co-principauté, entre le Président de la République française et l’évêque d’Urgell. Le catholicisme est religion d’Etat dans la Principauté.Toutes les fêtes religieuses et spécialement les fêtes mariales mettent à l’arrêt l’activité bancaire et commerciale qui contribue à la prospérité de ce petit territoire hors de l’Europe sans impôts ni taxes. La  fête nationale a lieu le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge.

L’ancien sanctuaire

Il s’agissait d’une chapelle très modeste formée d’une seule nef avec une abside circulaire à l’Est. La statue de la Vierge trônant et tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, datée du XIIIe siècle, y était présentée. Les vestiges de ce premier temple permettent de rattacher son style à celui des édifices religieux du « roman pyrénéen » Une église plus grande, occupant l’emplacement actuel du nouveau sanctuaire, y fut bâtie en 1658, avec des retables baroques eux aussi typiques du baroque catalan ( dorures, reliefs, images en buste). Une dernière réforme du chevet en 1866 permit l’inclusion d’une niche afin de rendre plus accessible l’image de la Vierge romane.

La statue actuellement vénérée à Meritxell dans le nouveau sanctuaire de 1974 est une fidèle reproduction de l’œuvre romane disparue dans l’incendie de 1972. La grande dévotion dont cette statue était l’objet depuis l’époque médiévale a généré de nombreuses copies, permettant d’en retrouver l’allure et la facture générales.

La grande dimension du visage est voulue, symbolisant l’importance de la Mère comme protectrice. Ses yeux, disproportionnés comme ceux de Sainte Foy de Conques, son expression grave expriment éternité et spiritualité, et aptitude à lire dans les cœurs. Ses chaussures sont des sabots typiques de paysanne. Elle porte une couronne à cinq fleurons, une tunique rouge ornée d’étoiles et de fleurs et un manteau bleu qui laisse à découvert une main droite dont la démesure met en valeur le geste de bénédiction. L’Enfant qu’elle tient sur les genoux est déjà un grand enfant aux cheveux raides et longs, lui-même bénissant de la main droite et tenant dans la main gauche un livre fermé.

Le rôle de Saint Pie X à Meritxell

Meritxell est cité comme sanctuaire principal de l’évêché d’Urgell en 1657. Mais ce n’était à l’époque qu’une simple chapelle, dont la Mare de Deu était protectrice de la petite cité toute proche de Canillo, à quelques kilomètres d’Andorre la Vieille. Son patronage officiel a été proclamé par le Conseil général des viguiers en 1873, en l’absence de l’évêque d’Urgell. Cette époque était spécialement troublée car l’Andorre était divisée pendant la troisième guerre carliste d’Espagne qui venait d’aboutir à l’abdication du roi Amédée 1er1 au profit d’Alphonse XII après trois ans de règne troublé et à la proclamation de la Première République espagnole. Le diocèse d’Urgell était quasiment vacant, car l’évêque d’Urgell s’était réfugié à Navarre, comme vicaire général de l’Armée de Charles VII de Bourbon, qui demeurait prétendant à la couronne d’Espagne.

Aussi est-ce de façon beaucoup plus solennelle que le patronage de la Mare de Deu sur toute la Principauté fut confirmé par le pape Pie X, le 13 mai 1914. L’époque rendit difficile l’instauration du premier pèlerinage au sanctuaire, et ce n’est qu’en 1921, sous le pontificat de Benoît XV, qu’eut lieu le couronnement canonique, célébré par une fête de grande envergure le 8 septembre et commémoré avec faste en 1996 à l’occasion du 75ème anniversaire.

Le nouveau sanctuaire : l’audace de l’architecture catalane

En 1972, la nuit du 8 au 9 septembre, un incendie se déclare dans le sanctuaire. À ce jour son origine n’est pas élucidée. Mais la reconstruction en fut immédiatement programmée.

Ricardo Bofill2 natif de Barcelone, présente un premier projet, trop « décalé » et sans doute trop somptuaire pour la population nationale, très influencée par la forme romane de l’ancien sanctuaire. On trancha dans le cas de Meritxell pour une reconstruction non identique. Ricardo Bofill amenda son projet et la première pierre fut posée le 8 septembre 1974.

L’église s’organise à partir d’une nef en forme de croix grecque déformée et l’abside est de plan carré. L’inspiration romane est conservée avec le clocher typique des monastères romans catalans (par exemple Saint Michel de Cuxa)et la voûte en croisée d’ogives du cloître adjacent. Les formes avant-gardistes jouent avec des arcatures simulant les restes romans de l’ancien sanctuaire.

Le décor est d’abord extérieur : ardoise dont les nuances se fondent dans le paysage minéral, lames de cuivre destinées à verdir et adopter les tons de la végétation alentour, poutrelles blanches comme la neige qui recouvre la Principauté une grande partie de l’hiver (et en fait un des plus beaux domaines skiables d’Europe), vitrerie lançant des jets de lumière .

À l’intérieur, les sept saints andorrans entourent la statue, reproduite en 2016 en CAO3 par Jaume Rossa, déjà auteur d’une sculpture en 2005.Il a utilisé un tronc de pin noir, comme les facteurs de la statue originelle l’avaient fait. (photo 4)

Ainsi Meritxell a-t-il gagné une renommée mondiale, qui s’étend à sa hiératique statue, confirmant la parole de Saint Bernard « De Maria nunquam satis ».

Article publié dans la revue Una Voce n°328 de Septembre – Octobre 2020

  1. Amédée de Savoie, (1845-1890) doit cette proclamation à un droit accordé au duc Victor Amédée II de Savoie en 1718 lors de l’échange de la Sicile contre la Sardaigne : celui de monter sur le trône d’Espagne si la branche espagnole des Bourbons devait s’éteindre. Ce n’était pas le cas, mais la Révolution espagnole de 1868 et l’instauration d’une monarchie constitutionnelle avaient amené le tout neuf Parlement espagnol à prononcer la déchéance de la Maison de Bourbon. Les deux tiers des députés portèrent leurs voix sur le Duc d’Aoste. Il fut donc Amédée 1er d’Espagne, de 1870 à 1873.
  2. Ricardo Bofill, né en 1939 à Barcelone, a réalisé entre autres les quartiers Antigone de Montpellier et Maine Montparnasse à Paris, la place du marché Saint Honoré à Paris, le terminal de l’aéroport de Barcelone, un immeuble de bureaux à Chicago.
  3. conception assistée par ordinateur, technologie appliquée avec succès lorsque seule une documentation photographique est disponible.