Professeur des Universités, président de l’Université de Toulouse II-Le Mirail, secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux floraux de Toulouse1, Georges Mailhos (1932-2016) avait rédigé un opus à destination de ses enfants « Mémoire d’une famille ». Son fils Pascal Mailhos en diffuse des extraits dans la revue « L’Autà » de l’Association « Les Toulousains de Toulouse ». Ce récit détaille la vie d’un élève dans ce collège jésuite fondé en 1874.
La rentrée
Dès la rentrée, le cadre était posé : à l’élève Hippolyte Mailhos (1886-1967), père de Georges, il fut annoncé par un père jésuite, comme à ses camarades : « Je ne plaisante pas. Si vous me trompez, je ne vous pardonnerai pas. Mais je vous pardonnerai toujours si vous vous efforcez. »
L’année qui suivit son entrée (en « septième »), un de leurs maîtres dit à sa classe un matin : « Mes petits, demain je ne serai pas avec vous. Je pars missionnaire à Madagascar, je ne vous reverrai sans doute jamais mais je serai toujours près de vous par la prière, ad majorem Dei gloriam.” Hippolyte note plus tard : « Je remarque qu’actuellement on traduit souvent pour la plus grande gloire de Dieu : c’est prendre pour un superlatif orgueilleux ce qui n’est qu’un modeste comparatif ; il faut donc entendre pour une plus grande gloire de Dieu.”
Le latin, partie intégrante des études
À chaque classe, sous la conduite de leur maître, les élèves récitaient le Veni Sancte Spiritus. Leur vie scolaire était rythmée à l’intérieur par le bruit sec du claquoir2 – deux planchettes de bois réunies par une charnière que l’on rabattait vivement – qui réglait comme à la messe les mouvements et, à l’extérieur, par le roulement du tambour qu’actionnait le concierge et qui égrenait les heures. Toutes les prières se faisaient en latin. Pour chaque prière religieuse, ils faisaient une attaque nette : « Confiteor Deo omnipotenti », « Pater noster », que suivait une sorte de marmonnement rapide et scandé vite amenuisé en bourdonnement sourd. Même chose pour « Dies irae », « Magnificat », « Stabat Mater », ou “l’Exultet”. Mon père évoquait parfois la Fête-Dieu, le premier dimanche de juin, lorsque lui et ses camarades portaient à tour de rôle le dais aux franges de passementerie dorée et le reposoir au milieu des odeurs de l’encens et des fleurs qui jonchaient le sol, tout en entonnant le « Lauda Sion ».
Le latin faisait partie intégrante de leurs études, comme plus tard à la faculté l’étude du droit romain. Ainsi, sur l’album du Caousou, toutes les maximes qui renvoyaient à la vie de l’établissement étaient en latin. Dès la sixième, les élèves utilisaient un guide de conversation latine écrit par un jésuite et publié par l’éditeur toulousain Privat, qui essayait de faire du latin une langue vivante. Deux exemples de ce latin plutôt étrange : « Surge, Paule, diei multum jam est » (« Lève-toi, Paul, il est grand jour »), « tacito ridere naso » (« rire dans sa barbe »). Les « quatrième » s’appelaient quartani, comme je le lis sur un livre de classe de Pierre Mailhos « Marci Tullii Ciceronis opera ad usum quartanorum », publié chez Mame. Sur l’en-tête de leurs devoirs, les élèves écrivaient « J.M.J. » (Jésus, Marie, Joseph), avec une croix au-dessus du « M ». Ils faisaient souvent figurer sur la page de garde de leurs livres « I.H.S. ».
Au début du repas de midi, le silence était imposé pendant la lecture traditionnelle d’un texte pieux, faite recto tono à tour de rôle par les élèves du haut d’une estrade où déjeunaient les professeurs. Pour arrêter la lecture, le supérieur, assis sur sa cathèdre gothique, donnait de sa règle un coup sec sur la table ; le récitant disait alors : « Tu, autem, Domine, miserere nobis » à quoi répondait le « Deo gratias » unanime de ses élèves.
On apprenait le grec en même temps que le latin, dès la sixième. Dans la Grammaire grecque d’Éloi Ragon3, les préfaces et les notes sont en latin. L’inévitable De viris illustribus urbis Romae, de l’abbé Lhomond, en usage depuis 1775, et les Narrationes latinae4 étaient au programme. Le père Vauchelle, responsable de cette édition de 1897, la préfaçait ainsi : « Chrétien et prêtre, nous travaillons pour des enfants chrétiens. Serions-nous dès lors excusable de laisser dans l’oubli nos auteurs sacrés et de négliger les beautés supérieures qu’ils nous offrent ? Nos chers élèves verront une fois de plus que la foi chrétienne, en donnant à l’intelligence la vérité complète, grandit toutes les facultés humaines et donne au génie une puissance nouvelle. »
Corollaire : dans les programmes d’histoire, l’histoire sainte tient une grande place, au moins égale à celle de l’histoire romaine, où les épisodes guerriers sont destinés à préparer les futurs militaires à la « revanche ». La bannière de l’école affichait la devise « religione, scientia, armis ».
N’oublions pas qu’à la même époque les manuels en usage à l’école laïque prônaient les vertus des exercices militaires pratiqués dans la cour de récréation sous la férule de l’instituteur, et que dans la fameuse collection Récréations enfantines chez Hetzel figurait la Petite Guerre, ce qui allait de pair avec la revanche de la défaite de 1870 et les débuts de la colonisation « pour une plus grande France5». C’est dans Cornelius Nepos, Juste Lipse ou Velleius Paterculus, plus que dans Tacite ou Tite-Live qu’on trouve les plus beaux apophtegmes moraux qui nourrissent la réflexion. Ainsi de Varus et de ses légions perdues : « Duci plus ad moriendum quand ad pugnandum animi fuit » (Ce chef eut plus de courage pour mourir que pour combattre) ou encore ces dernières volontés que tout soldat près d’expirer pouvait écrire avec son doigt trempé de sang : « Rutilantibus sanguine litteris. »
Il y avait au Caousou comme dans tous les établissements jésuites une académie composée des meilleurs élèves : les lauréats y faisaient des récitations de leurs poèmes et s’y livraient à des joutes oratoires appelées à l’époque concertations6.
Le soir, au dortoir, Hippolyte et Pierre découvraient les habitudes d’alors : la prière collective avant que le surveillant baisse la flamme de l’éclairage au gaz et réintègre sa cabine entourée de rideaux jusqu’à la toilette rapide du matin et la prière mécanique : « Mon Dieu c’est par un effet de votre bonté que je revois la lumière. » La messe était dite tous les matins, après quoi les pensionnaires se retrouvaient au réfectoire pour le petit déjeuner. Mon père m’a raconté que les matins d’hiver, lorsqu’il avait à peine 10 ans, il grelottait dans la chapelle évidemment non chauffée en se faisant morigéner par les pères lorsqu’en servant la messe il se trompait ou bâillait. J’ai moi-même connu plus tard ces mêmes messes du petit matin avec leur atmosphère sombre et austère et, comme mon père, je portais soutanelle rouge et rochet de dentelle. Peut-être est-ce à cette époque de notre enfance que s’est forgée l’habitude de penser que c’est le matin et non le banal midi qui équilibre le jour et lui donne sens, comme si la force de la journée ne venait pas de la durée qu’elle a subie, mais de l’élan pris à son début. À de tels signes, je reconnais la signification que peut prendre dans notre famille la tradition, et, au moment où j’en suis de ma vie lorsque l’âge a bouché toutes les directions et qu’on se trouve circonscrit par tous les impedimenta possibles, j’y trouve réconfort et paix.
Sur la couverture de l’album du Caousou conservé par mon père, figure en dessous de la vue générale de l’entrée la formule « Haec olim meminisse juvabit ! » (Il sera agréable un jour de se rappeler ces choses !).
Georges MAILHOS
Avec l’aimable autorisation de la revue L’AUTÀ
Article publié dans la revue Una Voce n°349 de Novembre – Décembre 2024
- Académie des Jeux Floraux de Toulouse : constituée en 1323 à Toulouse par sept troubadours pour maintenir le lyrisme courtois, cette “Compagnie du Gai Savoir “fut érigée en académie par Louis XIV en 1694 et promeut depuis sept siècles la poésie et la littérature en français et en occitan, entre autres en décernant des prix.↥
- Le claquoir était une variante de la crécelle, dite aussi « contre cloche », utilisée du Jeudi Saint au Samedi Saint quand les cloches étaient muettes. (N.D.A.) ↥
- Publiée vers 1860, elle était encore en usage dans les années 50, révisée par Alphonse Dain, d’où son nom : la Ragon-Dain… Ragon édita aussi la Chrestomathie grecque pour les débutants, où figuraient le Notre père et le Je vous salue Marie.↥
- Dont le titre complet est Narrationes latinae, e sacris necnon e profanis scriptibus excerptae, Poussielgue Éditeur, 1897.↥
- Titre de l’atlas de géographie d’Élisée Reclus paru en 1900.↥
- La recitatio était la lecture publique et la concertatio la discussion philosophique.↥