Le rite dit ambrosien a été fixé par Saint Ambroise, évêque de Milan au IVe siècle et porte son nom, à la différence d’autres rites de même époque ou postérieurs liés à une aire géographique : rite gallican, rite romain, rite mozarabe… Par sa connaissance poussée des Écritures, du répertoire grec et des livres byzantins, par son autorité morale et intellectuelle, Ambroise de Milan a opéré une synthèse unifiant le rite de célébration de la messe et des offices, dans une optique plus universaliste que régionaliste, ce qui peut expliquer sa persistance. Le rit ambrosien a survécu jusqu’à nos jours et est encore célébré à Milan, dans plusieurs diocèses du Piémont italien et dans les cantons Sud de la Suisse.
Ambroise de Milan : une ascension fulgurante
Ambroise de Milan est né en 339 ou 340 à Trèves. Son père était préfet du prétoire des Gaules, et conformément aux habitudes de l’époque, Ambroise n’a pas reçu le baptême et est resté catéchumène jusqu’à l’âge adulte. Après la mort de son père, Ambroise déménagea à Rome avec sa mère et ses trois frères et il reçut une éducation en droit en philosophie et en rhétorique et apprit le grec. À 25 ans il devint haut fonctionnaire de l’empire et fut nommé gouverneur consulaire de la province de Ligurie-Émilie : un territoire qui comprend Turin, Gênes, Bologne, Ravenne et la ville de Milan, une quasi-capitale puisque c’était là que résidait l’empereur : Rome était devenue trop difficile à protéger des invasions.
En 374, après la mort de l’évêque arien Auxence, Milan était en crise religieuse entre catholiques et ariens : une bonne partie du diocèse avait suivi Auxence, originaire de Cappadoce et ordonné par son compatriote Grégoire, archevêque arien d’Alexandrie, que le pouvoir impérial avait imposé à Milan bien qu’il ne connût pas le latin. Toutefois, un certain nombre de catholiques étaient restés attachés au dogme trinitaire et des troubles se produisaient régulièrement dans les églises. Ambroise, comme gouverneur, dut intervenir pour maintenir l’ordre. À l’occasion d’une « manifestation », Ambroise se trouva acclamé et réclamé par le peuple lui-même comme nouvel évêque.
Ambroise renonça alors à sa charge politique pour embrasser celle que lui réservait le Christ : évêque du diocèse. En l’espace d’une semaine, il reçut le baptême, la confirmation, l’ordre, puis le sacre épiscopal le 14 décembre 374.
Ambroise prit très à cœur sa charge épiscopale. « Dans l’accomplissement des choses de Dieu, il était d’une extraordinaire ténacité » écrit son secrétaire et biographe Paulin de Milan1.
Pendant 24 ans il défendit l’église catholique face aux empereurs : il imposa ainsi une pénitence publique à l’empereur Théodose Ier après le massacre de Thessalonique2 et refusa la cession d’une église à la mère du jeune empereur Valentinien II, Justine, qui réclamait un lieu de culte arien3. À la mort suspecte de Valentinien II en 392, c’est Ambroise qui prononça son discours funèbre, dans lequel il souligna la fragilité de l’autorité impériale et la nécessité d’un équilibre entre le pouvoir séculier et l’église.
Une œuvre considérable
Ambroise de Milan a écrit de nombreux ouvrages théologiques et liturgiques dont le traité contre l’arianisme « de fide ad Gratianum » et le premier traité de l’église d’Occident sur le Saint-Esprit. Il a joué un rôle clé dans la conversion de Saint Augustin qui admirait ses serments et sa pensée – non sans être critique à son égard mais avec un grand respect. Sa parfaite maîtrise du grec en fit le plus grand propagateur de la théologie grecque en Occident après Hilaire de Poitiers.
Dans deux traités célèbres, De Mysteriis et De Sacramentis, saint Ambroise explique aux catéchumènes les sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, chrismation et eucharistie, en expliquant pièce par pièce leur signification dans l’histoire du salut et leur sens spirituel. Le rite ambrosien actuel conserve de nombreux traits décrits par ses ouvrages : ainsi un passage du IVe livre du De Sacramentis4 nous livre le texte le plus ancien connu du canon de la messe. Ce canon – dont la parenté avec la liturgie égyptienne est sans doute à relier à la prédication de l’évangéliste Marc à Aquilée puis à Alexandrie, fut adopté très tôt par les Églises d’Italie et deviendra par la suite notre « canon romain » dont Milan utilise toujours une version propre (néanmoins très proche de celle en usage à Rome).
Les Hymnes composés par Ambroise ont renouvelé l’écriture du chant hymnique latin commencée par Hilaire de Poitiers, s’inspirant comme lui de modèles orientaux. Augustin rapporte dans ses Confessions (IX,7, 15) un épisode lors du siège des églises de 386, pendant le Carême : « pour éviter que le peuple ne séchât d’ennui, fut institué, à la mode orientale, le chant des hymnes et des cantiques. L’usage s’en est maintenu depuis ce temps jusqu’à aujourd’hui et il a été suivi en maints endroits, voire presque partout, imité de ton troupeau dans le reste du monde ». Ces hymnes avaient beaucoup de succès, et furent faciles à comprendre et à imiter, ce qui rend difficile l’attribution d’une authenticité ambrosienne. Trois hymnes sont indubitablement de lui : « Aeterne rerum conditor », « Deus creator omnium », « Iam surgit hora tertia Intende qui regis Israël »
La postérité d’Ambroise
Les successeurs de saint Ambroise continuèrent son œuvre, en particulier saint Simplicien, son successeur immédiat et saint Lazare (438 † 451) qui plaça les trois jours des Rogations après l’Ascension (avant leur adoption en Gaule par saint Mamert en 474). Chromace d’Aquilée (343-407), évêque d’Aquilée en Vénétie, consacré par Ambroise lui-même, lutta contre les derniers foyers de l’arianisme5.
Charlemagne qui avait continué la politique de son père Pépin le Bref en éradiquant l’antique liturgie des Gaules de ses États au profit du rit de l’Église de Rome, tenta de faire de même pour le rit milanais. Aux dires du chroniqueur Landulphe6, le peuple de Milan résista tant qu’on décida d’une ordalie : on plaça deux livres, l’un romain, l’autre ambrosien, sur l’autel de saint Pierre à Rome, et l’on décida que celui qui serait trouvé ouvert au bout de trois jours serait utilisé. Mais tous deux s’ouvrirent et grâce à ce « prodige », l’ambrosien fut sauvé. Les livres ambrosiens ayant déjà été détruits, des clercs de Milan rédigèrent alors de mémoire un manuel complet de leur liturgie. Quoiqu’on puisse dire de l’exactitude historique de ces faits rapportés par Landulphe (fantaisistes selon Louis Duchesne), on ne possède en effet aucun livre antérieur au règne de Charlemagne.
La lutte ne fut pas gagnée pour autant : le pape Nicolas II, qui avait tenté en 1060 d’abolir le rit mozarabe, lui aussi chercha à abolir l’ambrosien, secondé dans cette triste tâche par saint Pierre Damien. Le rit ambrosien fut préservé à nouveau par son successeur le pape Alexandre II. Le pape Grégoire VII (1073 † 1085) réitéra la tentative de suppression, de même que Branda de Castiglione († 1443), cardinal et légat du pape en Lombardie. Le rit sera finalement définitivement fixé et protégé grâce au travail acharné de saint Charles Borromée († 1584), le grand archevêque de Milan dont le travail d’établissement de normes d’édition est comparable à celui qu’accomplissait à la même époque saint Pie V pour le rit romain.
Dans la constitution sur la liturgie (4 décembre 1963), le concile Vatican II a manifesté un intérêt renouvelé pour l’ensemble du patrimoine liturgique, allant jusqu’à prendre cet engagement : « Obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église tient pour égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes les façons ».
Le missale ambrosianum fut approuvé dans son édition provisoire de 1972 par ordre du Cardinal Giovanni Colombo, archevêque de Milan, avec l’autorisation du pape Paul VI : lui-même ancien archevêque de Milan, il ne souhaitait pas la disparition du rite ambrosien. L’édition latine définitive du missale ambrosianum date de 1981 et l’édition italienne de 1986.La liturgie des heures fut, elle, promulguée par le Cardinal archevêque de Milan Carlo Maria Martini en 1983, et entra en vigueur à l’Avent 1984.
Les qualifiant de « vieux rites », Louis Duchesne les déclarait « doublement sacrés », car « ils nous viennent de Dieu par le Christ et par l’Église. Mais ils n’auraient pas à nos yeux cette auréole, qu’ils seraient encore sanctifiés par la piété de cent générations. Pendant des siècles on a prié ainsi ! Tant d’émotions, tant de joies, tant d’affections, tant de larmes, ont passé sur ces livres, sur ces rites, sur ces formules ! »
- Paulinus Mediolanensis (v.370-429 ?) « Vita Ambrosii »↥
- Sur l’ordre de Théodose I
er, ses soldats goths encerclèrent l’hippodrome de Thessalonique lors d’un événement sportif et y massacrèrent sept mille spectateurs, en représailles du lynchage d’un commandant de la garnison.↥ - Confisquée et cernée par des soldats de l’empereur le dimanche des Rameaux, la Basilica Portiana fut occupée par Ambroise qui y célébra tous les offices pour de nombreux fidèles pendant les jours saints, obtenant le Jeudi Saint la levée du siège de l’église. Les mesures coercitives prises par la suite contre Ambroise par Valentinien sont rapportées dans sa Lettre XX à sa sœur Marcellina.↥
- Des critiques ont contesté la paternité du
De sacramentis, l’attribuant à Nicétas de Remesiana. Le plus probable est que De sacramentis soit l’œuvre d’un proche successeur d’Ambroise, pénétré de son enseignement, qui aurait rassemblé et consigné par écrit ses catéchèses en les retouchant très légèrement.↥ - consulter l’Audience générale du pape Benoît XVI du 5 Décembre 2007, sur Chromace d’Aquilée, Libreria Editrice vaticana.↥
- Landulphe de Colonne, dit « chanoine de Chartres », érudit médiéval, auteur de « Breviarum historiale » ou « Historia miscella » (1428 ?).↥