Notre Dame de Bonsecours de Nancy, sanctuaire et mausolée royal

Le roi de Pologne Stanislas Leszczynski, qui reçut en 1737 de son beau-père le roi de France Louis XV les duchés de Lorraine et de Bar, a embelli la basilique Notre Dame de Bonsecours, pour y pratiquer sa religion comme il le faisait en Pologne et y être inhumé auprès de la duchesse Catherine Opalinska son épouse.

Un sanctuaire lié à l’histoire de la Lorraine

C’est le duc de Lorraine René II qui fit édifier en 1480 une modeste chapelle en commémoration des morts de la bataille de Nancy de janvier 1477. Entré en vainqueur dans Nancy qu’il venait de délivrer, mettant ainsi fin aux ambitions du duc de Bourgogne Charles le Téméraire, René II voulut rendre hommage aux nombreux morts côté ennemi, entassés dans une fosse commune proche de l’étang Saint Jean pris dans les glaces1. Il commanda à Mansuy Gauvain2 la statue de Notre Dame de Bonsecours, plus connue sous le nom de « Vierge au manteau », enveloppant les saints dans son manteau déployé.

Le duc Charles IV fit agrandir en 1629 la chapelle qui devient abside d’un nouveau sanctuaire et y adjoignit un couvent de Minimes. La cession des duchés de Lorraine et de

Bar3 à la France par le traité de 1737 signé entre Charles VI de Habsbourg et Louis XV fait de Stanislas Leszczynski son beau-père le dernier duc de Lorraine, le duché devant revenir à la France à la mort de ce dernier. C’est l’époque de l’embellissement de Notre Dame de Bonsecours, aperçue régulièrement par Stanislas depuis son carrosse sur son trajet entre le château de la Malgrange, sa résidence à Nancy, et le château de Lunéville, sa résidence d’été.

L’église à la hauteur des ambitions et de la piété du Roi de Pologne

Toutefois, la nouvelle église ne fut au début pas du goût des Lorrains, attachés à la modeste chapelle comme souvenir de leur glorieux passé de vainqueurs de Charles le Téméraire. Mais la piété de leur nouveau Duc, et ses choix artistiques l’emportèrent ; la première pierre fut posée en août 1738 par Emmanuel Héré, architecte du nouvel ensemble architectural voulu par Stanislas pour réunir la ville médiévale et la ville neuve par les deux places royale (aujourd’hui place Stanislas) et de la Carrière. L’édifice fut consacré en 1741 par l’évêque de Toul4. La translation canonique de l’abbaye de Bouxières-aux-Dames amena de nouveaux aménagements, dont la prolongation des stalles des chanoinesses au-delà du maître-autel.

L’église présente une architecture française classique, et une riche décoration intérieure de style baroque italianisant. Les quatre colonnes d’ordre composite de la façade proviennent du château de La Malgrange, ancienne résidence nancéienne du duc Léopold (également réaménagée pour Stanislas par Héré). Une seule nef haute aux voûtes en plein cintre conduit aux deux autels latéraux dédiés à saint Stanislas et sainte Catherine d’Alexandrie, patrons du roi et de la Reine de Pologne. Le mobilier en bois (confessionnaux et stalles) a été réalisé au XIXème siècle, ainsi que les verrières du chœur, don de Napoléon III à la demande de l’impératrice Eugénie. Les murs sont couverts d’un revêtement de stuc coloré à l’apparence de marbre et d’un arc triomphal tendu de fausses draperies. Les frises de la nef chantent la gloire de Marie tandis que la voûte de la nef peinte en 1742 par Joseph Gilles, dit le Provençal, évoque l’Immaculée Conception, l’Annonciation et l’Assomption, une composition proche de la voûte de la chapelle royale de Versailles peinte par Coypel. Elle s’en démarque toutefois pour aboutir à une œuvre composite, caractéristique de ce que l’on appellera plus tard le « baroque lorrain ». Cette esthétique est aussi celle de la niche qui sert d’écrin à la Vierge au manteau de René II, au fond de l’abside.
Les drapeaux turcs au-dessus de l’entrée furent capturés par les ducs Charles V (1664), Charles-François de Lorraine (1687) et François III (1738).
Le buffet d’orgues réalisé en 1858 par Cuvillier a été déposé en 1989. C’est un orgue construit en 1954 par Victor Gonzalez pour l’église Saint Louis de Vincennes mais inachevé, qui a été installé de manière invisible dans deux niches derrière la tribune de l’ancien orgue. Terminé par la Manufacture vosgienne de grandes orgues de Rambervillers Il a été inauguré en 2014.

Les grilles qui bordaient la coursive, enlevées à la Révolution, sont attribuées, sans certitude, au fameux ferronnier nancéien Jean Lamour, auteur des grilles de la Place Royale. Les mausolées de Stanislas et de Catherine Opalinska se font face de chaque côté de l’autel, au-dessus du caveau aménagé sous le dallage du chœur.

Les mausolées

Catherine Opalinska, l’épouse de Stanislas Leszczynski, est la première à être inhumée à Notre Dame de Bonsecours, en mars 1747. Sur son mausolée de marbre sculpté par Nicolas Sébastien Adam figure l’inscription : « Ici repose aux pieds de la Reine des Cieux, Catherine Opalinska, Reine de Pologne, Grande Duchesse de Lithuanie, Duchesse de Lorraine et de Bar. Elle vit son dernier jour le 19 mars 1747 à l’âge de 67 ans ».

L’œuvre achevée en 1749 immortalise Catherine Opalinska agenouillée sur un tombeau placé devant une pyramide de marbre. Un ange bienveillant la guide vers les cieux, tandis qu’un aigle aux ailes déployées tourne la tête vers la souveraine. Deux gracieux médaillons représentant la Foi et la Charité encadrent l’épitaphe en bas-relief.

Le cœur de Marie Lesczynska leur fille, épouse du roi de France Louis XV5, fut déposé, à sa demande par testament, dans son propre mausolée sculpté par Claude -Louis Vassé après son décès à Versailles le 24 juin 1768. De petite dimension, il est gravé de l’épitaphe : « Au Dieu très bon, très grand : Marie-Sophie, épouse du roi Louis XV, fille de Stanislas, Versailles 24 juin 1768 », sous le profil de la reine en médaillon de marbre blanc.

Franciszek Ossolinski, Grand Maître de la Maison de Stanislas qu’il avait suivi en France en 1736, séduit par la finesse de la sculpture de Nicolas Sébastien Adam lors de la surveillance de la pose du mausolée de la Reine, lui commanda un mausolée semblable, pour lui-même et son épouse qui l’y précéda de quelques mois en 1756.

Stanislas lui-même fut inhumé en 1766 mais son mausolée commandé par Louis XV à Claude-Louis Vassé ne fut terminé qu’en 1774 par son élève Félix-le-Comte. Stanislas est sculpté assis à l’antique, la main droite appuyée sur le bâton de commandement, les attributs de la royauté à ses côtés. Sur le vaste socle est posé un globe terrestre enveloppé dans un voile de deuil. Agenouillée, la Lorraine tient une tablette où est gravé le texte « Non recedet memoria ejus, et nomen ejus requiretur a generatione in generationem ». Face à elle, la Charité est prostrée, un enfant au sein. Ces deux statues encadrent le médaillon « Ici repose Stanislas le Bienfaisant, le bien nommé, qui a enduré les nombreuses vicissitudes de la condition humaine. Il n’en fut pas brisé, immense sujet d’admiration sur ses terres comme en exil. L’approbation de son peuple le fit roi, il fut accueilli et embrassé par son gendre Louis XV. Il gouverna et embellit la Lorraine plutôt en père qu’en maître, nourrit les pauvres, restaura les villes que la peur avait endommagées, il encouragea les belles lettres. Il mourut le 13 février 1766 à l’âge de 88 ans. Pleurez-le, vous qui êtes inconsolables ».

Le pieux Duc de Lorraine

Stanislas réussit en Lorraine ce qu’il n’avait pu faire en Pologne. Elu mais chassé au gré des conflits entre le tsar Pierre 1er de Russie et Charles XII de Suède qui se soldèrent par la victoire de ce dernier, Stanislas fut contraint de quitter la Pologne dès 1734 du fait d’une offensive de l’Armée russe qui permit l’élection d’Auguste III comme roi de Pologne. Stanislas se réfugia à Königsberg en Prusse, puis en France où son beau-père Louis XV l’accueillit « royalement », le dotant du duché de Lorraine et d’une pension, et le laissant visiter à son gré sa fille et ses petits-enfants à Versailles.

On connaît Stanislas pour son œuvre architecturale à Nancy, Commercy, et Lunéville mise en valeur par des fêtes somptueuses, on connaît moins ses talents de scientifique (avec une prédilection pour la mécanique et l’agronomie), de peintre6 et d’homme de lettres. Il ne se contenta pas d’édifier des églises et des châteaux : Nancy fut dotée sous son règne de bâtiments publics, d’un collège de médecine et d’hôpitaux, d’un jardin botanique, d’une bibliothèque publique et d’une Académie savante, toujours active7. Frédéric II de Prusse ne s’y était pas trompé « les grandes choses que [Votre Majesté] exécute avec peu de moyens en Lorraine doivent faire regretter à jamais à tous les bons Polonais la perte d’un prince qui aurait fait leur bonheur. (…) Elle rend les Lorrains heureux, et c’est là le seul métier des souverains ».

Pèlerinages et processions rythmaient la vie de la Cour du duc de Lorraine, qui assistait tous les jours à la messe à ND de Bonsecours et jeûnait pendant la Semaine sainte ainsi que le jour anniversaire de sa sortie de Dantzig (27 juin 1734), en action de grâces pour sa vie sauve et sa liberté. Sa fille Marie priait aux mêmes heures que son père, dans la chapelle des Récollets de Versailles8. Il écrivit dans le chapitre sur « La religion » de ses « Œuvres du philosophe bienveillant » :« Je suis convaincu qu’il n’est point d’athées et qu’il n’en fut jamais ; parce que pour l’être, il faudrait pouvoir se prouver clairement et invinciblement la non-existence de Dieu ; ce qui n’est non plus possible à l’homme, que de se faire Dieu lui-même, d’anéantir ce monde et d’en créer un nouveau9 ».

Il raviva aussi le culte du Sacré Cœur (en souvenir de la Pologne qui s’y était consacrée la première) déjà introduit en Lorraine par les sœurs Visitandines, organisant une célébration solennelle le 1er juin 1742 à Lunéville, en même temps qu’à Versailles. Il n’hésita pas à faire pression sur le pape Clément pour qu’il autorisât le diocèse de Toul à célébrer lui aussi cette fête.
Il était clair pour lui que toute confusion des pouvoirs devait être rejetée. « Anathème à celui qui prétendrait que la Puissance temporelle eût quelque droit sur la Puissance spirituelle, et qu’une main séculaire pût mettre la main à l’encensoir10 ».

Les oraisons funèbres de Stanislas et de Catherine Opalinska

Louis-Antoine Cuny rendit hommage à la duchesse de Lorraine par un éloge funèbre insistant sur sa très grande modestie et sa générosité « La reine eut un cœur aussi sensible que magnanime, et plus d’une fois la main seule de la religion put essuyer ses larmes. Si elle vit d’un œil sec la perte d’un trône et d’une couronne, elle pleura sur les malheurs de la Patrie, elle pleura sur les dangers du Roi, elle pleura sur la mort prématurée du premier-né de ses enfants. (…) La Reine éplorée tombe aux pieds de Jésus crucifié. Là, elle trouve un Père qui la console, un Dieu qui la fortifie, un Modèle du pénible sacrifice qu’elle fait. Si la Nature compte le peu d’années que la Princesse a vécu, la Foi compte le grand nombre des périls qu’elle a évité ; et dans ce combat, entre le cœur qui gémit et la Grâce qui parle, c’est la Religion qui remporte la victoire. Ainsi lui adoucit-il les amertumes de la vie, comme son mérite la vengea des outrages de la Fortune. (…) Les jours de la Princesse s’ouvrirent et se fermèrent toujours par l’adoration et la Prière. (…) Donner fut la première leçon et le plus fort penchant qu’elle reçut de la nature (…) donner beaucoup, ainsi l’usage délicieux qu’elle faisait de son opulence . Donner promptement, le prix qu’elle ajoutait à chaque bienfait. Donner le plus secrètement qu’il était possible, la précaution qu’elle prenait pour en conserver tout le mérite aux yeux de Dieu ».

L’oraison funèbre de Stanislas Leszczynski fut, elle, prononcée par Mgr de Boisgelin11 le 12 juin 1766, à l’adresse du jeune duc de Berry, futur Louis XVI12, qui représentait sa grand-mère Marie Leszczynska, fille de Stanislas et Reine de France, décédée huit ans plus tôt.

 « Les extraordinaires renversements de fortune que Stanislas a connus au Nord, à l’Est et au Midi de l’Europe sont une leçon qui ne doit pas être oubliée en France, et à l’ouest de l’Europe, certes civilisé et stabilisé par sa millénaire et très chrétienne monarchie, mais à qui la religion ne cesse de rappeler sa fragilité. (…) Ce vieillard vénérable entouré d’une foule de sujets soumis dont il est le père, demeure tranquille au milieu des divisions dont la Terre ne cesse point d’être affligée. La discorde frémit autour de lui sans pouvoir l’atteindre ; il est assis sur un trône que rien ne peut ébranler ; c’est le prince de la paix. (…) pour avoir parcouru dans toute son étendue et touché dans tous ses points le cercle des conditions mortelles jusques et y compris les plus misérables et les plus opprimées(…) il est l’égal de tous les hommes, de ceux qui vivent sur des trônes, et de ceux qui gémissent sous le joug des plus dures adversités. (…) Roi d’un Etat paisible, il est enfin rendu à son caractère : il n’a plus qu’à suivre désormais les goûts de son cœur ».

Notre époque qui a enlevé à la « religion » sa majuscule pourrait revisiter ces propos de Stanislas Leszczynski dans ses « Réflexions sur divers sujets de morale » : « La Religion est la vie de l’âme, et sans elle, l’homme ne serait qu’une machine à ressorts, un pur automate, ignorant son origine et sa fin, n’ayant tout au plus qu’un sentiment confus de son existence, une raison sans discernement, un esprit sans réflexion, un cœur que pour respirer et pour vivre, suivant en aveugle l’impulsion des sens, ne sachant ce qu’il est, ce qui l’environne, ce qu’il deviendra, ce qu’il peut espérer, et ce qu’il peut craindre ». Et cette certitude appuyée sur une foi et une pratique fervente : « Le trop de dévotion mène au fanatisme. Le trop de philosophie, à l’irréligion.

Article à paraître dans la revue Una Voce n°333 de Septembre – Octobre 2021

  1. La légende veut que le cadavre du Téméraire ait été dévoré par les loups.
  2. Sculpteur lorrain qui a également réalisé la porterie du palais ducal, le mausolée de René II dans l’église des Cordeliers de Nancy, et la cathédrale primatiale.
  3. Le duché de Bar était frontalier du comté de Champagne à l’ouest, du duché de Lorraine à l’est et du duché de Luxembourg au Nord. Sa capitale était Bar-le-Duc, actuelle préfecture de la Meuse.
  4. Nancy ne fut un évêché qu’au rattachement de la Lorraine à la France.
  5. Marie Leszczynzka mariée à Louis XV en 1725 lui a donné dix enfants, dont Louis de France, père de Louis XVI.
  6. Deux de ses tableaux figurent dans l’église ND de Bonsecours : « Le martyre de Saint Sébastien » et « Sainte Catherine ».
  7. Académie Stanislas : academie-stanislas.org, fondée en 1750 par Stanislas sous le nom de Société Royale des Sciences et Belles-Lettres de Nancy.
  8. Le dauphin Louis qui admirait son grand-père maternel en aurait fait autant, si son précepteur, l’évêque de Mirepoix, ne lui avait recommandé de ne « pas adorer le Saint Sacrement comme un moine ».
  9. Stanislas Leszczynski « Œuvres du philosophe bienveillant », 1763.
  10. Ibid.
  11. Élu plus tard aux Etats Généraux en 1789, il s’opposa à la réunion des Trois Ordres et à la spoliation des biens du clergé, tout en proposant en vain un compromis qui aurait fait entrer dans les caisses de l’Etat 400 millions de livres prélevés sur le budget de l’Eglise. Il refusa de prêter serment et émigra en Angleterre, puis fut créé cardinal par Pie VII en 1803.
  12. Le jeune duc âgé de douze ans avait déjà connu les deuils de son frère aîné le duc de Bourgogne(1761), puis de son père Louis de France(1765), de sa mère Marie-Josèphe de Saxe(1767) et de sa grand-mère Marie Leszczynska (1768).