Henri Guérin : le chantre du vitrail du XXe siècle

C’est à la faveur d’une longue immobilisation pour une tuberculose osseuse qu’Henri Guérin a découvert dans sa jeunesse la poésie, la littérature, la musique et la peinture. Mais c’est sa rencontre en 1954 avec Dom Ephrem (1903-1985)1 de l’abbaye d’En Calcat, qui va décider de sa vocation de peintre -verrier et épanouir des talents manuels et créatifs d’emblée mis au service de la construction ou la restauration de plusieurs centaines d’édifices religieux.

Une création « de lumière et d’ombre »

Totalement autodidacte (il avait d’abord suivi une formation de prothésiste dentaire), Henri Guérin a appris auprès de Dom Ephrem un double chemin exigeant, d’une part de spiritualité à l’abbaye bénédictine, d’autre part de labeur sur des matériaux complexes, le verre taillé en dalles et inséré dans du béton, ou plus tard ce joint minéral qui signera son identité de verrier. Après avoir publié ses premiers poèmes chez Seghers en 1955, il travaille avec Dom Ephrem sur une cinquantaine de vitraux dans des églises et chapelles de la région Midi-Pyrénées et de l’Aude, dont la plus remarquable est sans doute la chapelle du Saint Sacrement de l’église conventuelle des Dominicains de la Province de Toulouse en 1959.

Installé définitivement en 1961 avec sa famille à Plaisance-du-Touch, proche de Toulouse, il y poursuit seul une œuvre originale et voit dans la décennie 1960-1970 un développement important de ses commandes, tant pour des édifices religieux que civils, voire des demeures privées : le « Salon annuel d’art sacré » de 1963 le fait remarquer au point qu’il recevra la commande de la verrière du pavillon des Amitiés franco-canadiennes à l’Exposition universelle de Montréal en 1967, et exposera à New York en 1968. En France, c’est ensuite par le Salon des artistes décorateurs, les Chantiers du Cardinal (églises de Grigny et Antony en région parisienne), la Maison des métiers d’arts français créée par le tapissier Jacques Anquetil, et la « Fondation du Languedoc »2 qu’il est sollicité pour les chantiers d’édifices religieux et parvient à introduire la dalle de verre à joint minéral dans la restauration de ceux-ci : cette technique était alors rejetée par les architectes des monuments historiques qui la considéraient comme inadaptée, donnant des résultats « faciles » mais inesthétiques par le recours aux seules couleurs primaires, aux tailles géométriques, et aux grands aplats de ciment. Le premier chantier d’envergure d’Henri Guérin sera la restauration de la verrière de l’église Notre Dame du château de Felletin considérée comme « la Sainte Chapelle de la Creuse ». Son verrier attitré fut le fils de Jules Albertini (1901-1980), lui-même natif de Murano et créateur de la dalle de verre (mosaïque de verre liée par un béton armé) en 1929.Henri Guérin a pu se constituer une collection de dalles de verre de plus de sept cents tons.

Le « burineur du verre »

La créativité intense d’Henri Guérin s’est, et s’est nourrie d’une foi fervente et s’est donc naturellement investie dans les édifices religieux. L’hommage qu’il a rendu à Dom Ephrem lors de ses obsèques « Il tutoyait la création entière » pourrait s’appliquer à lui-même. L’historien de l’art Dominique Ponnau,Directeur honoraire de l’ École du Louvre, l’a qualifié dans son éloge funèbre de « burineur du verre en rendant hommage à sa force de travail : «  le labeur n’est pas l’ennemi de l’inspiration. Au contraire, il lui permet d’advenir et de s’incarner. C’est par ses belles mains qu’Henri Guérin libéra son inspiration et la mit au monde ». A quoi fait écho le verrier lui-même, qui n’hésita pas à écrire en 1977 au tout nouveau secrétaire d’État au travail manuel, Lionel Stoléru, se revendiquant « travailleur manuel, dont la pensée ne s’alimente pas de concepts, mais se développe par le jugement que je porte en priorité sur mes actes ». Jugeant aussi son œuvre avec humilité : « La beauté c’est comme l’humilité, on ne sait pas qu’on la porte. Elle s’échappe comme le chant d’un oiseau. C’est une quête de mendiant . Plus on la cherche, plus elle se dérobe à vous. On la trouve par effraction, alors un bref instant, le Ciel s’entr’ouvre »3

Une œuvre jusqu’aux confins de la Terre

La productivité de cet artisan du verre coloré fut exceptionnelle : Chapelles, églises, couvents, oratoires sont visibles en France, en Suisse, aux Philippines, aux États-Unis, au Canada,en Israël, au Japon, au Cameroun. On ne peut en en citer que quelques-uns : La tribune de abbatiale de Fontgombault, l’église conventuelle des dominicains de la Province de Toulouse, la chapelle Sainte claire de l’Institut catholique de Toulouse4,la chapelle du petit Séminaire français d’Ottawa(Canada) la chapelle du Calvary Hospital de New York, la basilique Marie Reine des Apôtres de Yaoundé(Cameroun), la verrière de la chapelle Saint- Etienne à Jérusalem,Le couvent des clarisses de Windhoek (Namibie), les chapelles des hospices du Grand St Bernard et du Simplon, et la crypte « Notre Dame sous terre » de Chartres, une de ses dernières réalisations.

Le peintre-verrier Jacques Bony (1918-2003) qui fut aussi secrétaire de la revue « Art Sacré » de 1949 à 1954 et engagé dans le renouveau de l’art sacré aux côtés des Pères Couturier et Regamey5, exprimait ainsi le mystère du vitrail : «  ce qu’est le vitrail, on le retrouve dans les êtres : ce jeu de transparences et d’opacités, d’élans et de ruptures, et la musique qui naît de leurs rapports. »

Bibliographie

« Henri Guérin, œuvre au XXe siècle », thèse de doctorat de Sophie Guérin-Gasc, Université Toulouse Mirail, 2003.

« Henri Guérin, peintre -verrier au cœur de la création contemporaine » Actes du colloque 2014, Éditions du Cerf / Presses de l’Institut catholique de Toulouse

« L’œuvre vitrail d’Henri Guérin » Privat, 2005.

Document vidéo : « un peintre verrier » de Bernard Clerc, documentaire INA/centre Pompidou, 1977.

Œuvres d’Henri Guérin

« la corbeille à papiers » Seghers, 1955

« la patience de la main »

Article publié dans la revue Una Voce n°341 de Mars – Avril

Notes
  1. Dom Ephrem a réalisé entre autres le fac-similé des fresques de St Savin pour le musée des monuments français en 1934. 
  2. Fondée avec des artistes toulousains : le compositeur et organiste Xavier Darasse, le photographe Jean Dieuzaide, l’historien Michel Roquebert. 
  3. Henri Guérin « De lumière et d ‘ombre » revue Képhas, septembre 2005. 
  4. Soufflées par l’explosion de l’AZF à Toulouse en septembre 2001, elles ont été refaites et reposées par Henri Guérin lui-même. 
  5. voir le numéro 339 d’Una Voce