Willa Cather : « la mort et l’archevêque »


L’auteure américaine, Willa Cather (1873-1947), considère cet ouvrage écrit en 1927 comme la meilleure de ses œuvres. Elle y raconte de façon romancée la vie au Nouveau Mexique d’un jeune prêtre français qui a quitté son Auvergne natale pour participer à la mission d’évangélisation des Indiens d’Amérique au XIXe siècle. Sur ce sujet qui ferait polémiques aujourd’hui, l’auteur décrit la splendeur aride de la région (qu’elle a parcourue), l’humilité de son héros, qui finira archevêque de Santa Fé, dans la façon d’aborder sa mission, et les questions que pose à cette auteur qui ne revendique pas elle-même de religion le sacrifice de ces prêtres et leurs renoncements au nom de leur vocation. Le père Jean Baptiste Latour, après la construction en grès local de la basilique Saint François de Santa Fé, sur le modèle d’une église française, rentra en France pour y finir ses jours, et se ravisa, retraversant l’Atlantique pour revenir mourir à Santa Fé (voir l’article « églises et sanctuaires du Nouveau Mexique », sur ce site).

« De la mer plane de sable rouge s’élevaient de hautes mesas, à la silhouette généralement gothique, pareilles à d’immenses cathédrales. Cette plaine, jadis, aurait tout aussi bien pu être une ville gigantesque, dont le temps aurait détruit les quartiers les plus insignifiants ne laissons debout que les édifices publics, – amoncellement architecturaux semblables à des montagnes. Le sol sablonneux de la plaine était parsemé de genévriers, taché ici et là de grosses masses d’herbe de Guttierez, cette plante olivâtre qui croit en hautes vagues comme une mer agitée, et couverte en cette saison d’un chaume fleuri jaune comme les genets ou oranges comme les soucis. Cette plaine de mesas semblait être d’un âge impressionnant ; elle paraissait inachevée, comme si, ayant rassemblé tous les matériaux nécessaires à la construction du monde, le créateur avait abandonné son entreprise, s’en était allé en laissant tout sur le point d’être assemblé, à la veille de se voir constituer en montagne, en plaine ou en plateau. Cette contrée continuait d’attendre qu’on la transformât en paysage.

La coutume indienne était de s’évanouir dans le paysage et non de se dresser contre lui. Les villages Hopi installés sur les mesas rocheuses étaient conçus pour ressembler à la roche sur laquelle ils se dressaient et, de loin, ne pouvaient s’en distinguer. Les huttes Navajo parmi le sable et les saules étaient faites de sable et de saule. Lorsqu’il quittait le rocher, l’arbre ou la dune qui les avait abrités pour la nuit, le Navajo prenait soin grand soin d’effacer jusqu’à la moindre trace de leur séjour temporaire. Il enterrait les braises et les restes de nourriture, il répandait les pierres qu’ils avaient pu empiler comblaient les trous qu’ils avaient faits dans le sable. Le père Latour en conclut que de même que l’homme blanc affirmait sa présence au sein des paysages en les changeant et en les modifiant, assez du moins pour y imprimer une marque quelconque de son passage, l’Indien, lui, traversait les pays sans y rien déranger passait sans laisser de traces tel un poisson dans l’eau ou les oiseaux fendant l’air.

Les pères espagnols qui étaient montés vers Zūni ,puis, plus au nord en pays Navajo à l’ouest, en pays Hopi et vers l’est, dans tous les pueblos éparpillés entre Albuquerque et Taos, étaient arrivés ,eux ,en terre hostile ne portant guère pour tout bagage que leur bréviaire et leur crucifix .Quand les indiens leur volaient leurs mules, ainsi qu’il arrivait souvent, ils continuaient à pied sans habits de rechange, sans vivres et sans eau .Il était pratiquement impossible à un Européen de s’imaginer pareilles épreuves .Les vieux pays avaient pris la forme même de la vie humaine étaient devenus pour l’homme investiture une sorte de second corps. Là-bas, herbes sauvages, fruits sauvages et champignons de la forêt étaient comestibles. De l’eau douce coulait dans les ruisseaux, les arbres fournissaient ombre et abri. Mais dans les déserts, les trous d’eau étaient empoisonnés et la végétation n’avait rien à offrir à l’homme. Tout y était sec, piquant et coupant et l’homme, enfin, rendu cruel par une existence cruelle. Ces missionnaires des premiers jours s’étaient jetés nus contre le cœur dur d’un pays fait pour éprouver leur résistance de géants. Ils avaient eu soif dans ces déserts, faim parmi ces rochers, avaient gravi et descendu ces terribles canyons, les pieds meurtris par les cailloux, mis fin à d’interminables jeunes en ingérant de sales et répugnantes nourritures. Ces hommes avaient assurément éprouvé « la faim, la soif, le froid et la nudité » à un point que ni Saint Paul ni Saint frères n’aurait pu concevoir. Quelles qu’aient été les souffrances des premiers chrétiens, ils les avaient supportées au cœur protégé du petit monde de la Méditerranée, parmi les us anciens et les anciens repères. S’ils avaient souffert le martyre, du moins étaient-ils morts parmi leurs frères, on avait conservé leurs reliques et leur nom vivait toujours dans la bouche des saints.

Il ne savait pas à quel moment au juste {cet air} lui était devenu si indispensable, mais s’il était revenu mourir en exil, c’était à cause de lui. Quelque chose de doux, de sauvage et de libre, quelque chose qui parlait en murmures à l’oreille reposant sur le traversin, rendait le cœur plus léger, crochetait doucement, tout doucement la serrure, faisait glisser les verrous et rendait l’âme humaine prisonnière à la liberté du vent, à la liberté du bleu et de l’or, et libre la rendait au matin ! »

Willa  Cather, la mort et l’archevêque

Les Livres ambrosiens : antiphonaires, sacramentaires et missels

Les collections de l’Italie du Nord ont conservé un assez grand nombre de manuscrits liturgiques à l’usage des églises de rite ambrosien, dont les plus anciens sont du Xe siècle. « Il fallait jusqu’à présent une bonne volonté peu commune pour s’occuper d’une liturgie et d’un champ que les Milanais semblaient avoir pris à tâche de tenir à l’abri des regards étrangers », écrit Louis Duchesne en 1920 dans son « Étude sur la liturgie latine avant Charlemagne ».

Des bibliothèques prestigieuses et riches

Les sacramentaires ne contiennent que les prières sacerdotales, à l’exclusion des lectures et des parties chorales. Les antiphonaires sont réservés aux parties chantées. La plupart des sacramentaires et antiphonaires de la liturgie ambrosienne sont conservés dans l’une des quatre grandes bibliothèques de Milan :

La bibliothèque ambrosienne

La bibliothèque ambrosienne a été fondée par le cardinal-archevêque de Milan Federico Borromeo (1564-1631) en septembre 1607 et ouverte au public en décembre 1609. La salle de lecture publique appelée « Sala federiciana », ouverte à ceux qui savaient lire et écrire, fut une des premières de son genre en Europe.

Le cardinal Borromeo avait pour ambition de créer un centre d’études et culture à Milan conçu comme un « temple des muses » pour promouvoir les valeurs humaines et chrétiennes à travers la science et la culture, au service de l’église catholique.

Il envoya donc des agents à travers l’Europe occidentale jusqu’en Grèce, puis en Syrie pour acquérir des manuscrits et des livres imprimés de toutes les cultures existantes : la bibliothèque a commencé avec environ 15.000 manuscrits (dont les manuscrits complets du monastère bénédictin de Bobbio en 1606) et 30.000 livres imprimés, et a reçu en 1608 la bibliothèque de 800 manuscrits de l’humaniste padouan Vincenzo Pinelli. Elle comporte une innovation majeure pour l’époque : les livres étaient rangés dans des étagères le long des murs plutôt que d’être enchaînés à des tables de lecture.

Avec la pinacothèque fondée en 1618 et l’académie des beaux-arts en 1620, L’Ambrosiana est ainsi devenue un centre culturel complet.

La bibliothèque trivulzienne

Elle est issue de la collection privée de la famille Trivulzio constituée au XVIIIe siècle et a été acquise par la ville de Milan en 1935. Malgré des dommages subis lors de bombardements en août 1943, elle abrite plus de 1300 manuscrits et autant d’incunables ainsi que de nombreuses éditions du XVIe siècle. Les ouvrages les plus célèbres sont la collection complète des éditions du XVe siècle de la divine comédie de Dante, et le codex trivulzianus de Léonard de Vinci de 1490. Abritée dans le château des Sforza, elle est ouverte au public et comporte depuis 1978 un atelier de restauration de manuscrits.

Bibliothèque du Chapitre

Située dans le palais des chanoines, c’est la plus ancienne bibliothèque publique de Milan, fondée probablement en même temps que la cathédrale afin d’abriter des livres liturgiques et autres publications nécessaire au Chapitre. C’est pourquoi elle contient 500 manuscrits, 68 incunables et près de 1000 cinquecentine (livres imprimés au XVIe siècle). Les manuscrits ambrosiens d’un grand intérêt pour l’histoire de l’enluminure constituent la plus grande partie de son patrimoine de codex, certains remontant au IXe siècle.

Bibliothèque Brera

Elle a été fondée en 1170 dans le palais Brera, un bâtiment construit par les jésuites au 17e siècle, par Marie-Thérèse d’Autriche qui souhaitait rendre que la collection de livres de Carlo Pertusati acquise par l’archiduc Ferdinand. Elle possède une collection de plus de 1,5 million de volumes, dont des manuscrits, des incunables et des cinquecentine.

Basilique Saint Ambroise

Construite par Saint Ambroise à la fin du IVe siècle dans le style roman Lombard, elle a été construite sur un cimetière de martyrs, d’où son nom initial de basilica martyrum. M décorez de mosaïque byzantine, elle possède un autel d’or du IXe siècle dont les reliefs représentent des scènes de la vie de Saint Ambroise et du Christ.

Inventaire des livres ambrosiens : un travail de Bénédictin

Léopold Delisle, dans son Mémoire de 1886, énumère successivement les sacramentaires de Monza , de Biasca, de Lodrino, d’Héribert ou de S. Satyre1, de S. Simplicien, d’Armio, du marquis Trotti et enfin le cod. Ambros. T. 120 sup soit huit manuscrits qui sont certainement parmi les plus anciens que l’on connaisse.

Dix-sept ans plus tard (1903), Paul Lejay, inaugurant le « Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie » de Cabrol, reprenait à son propre compte la nomenclature de Delisle, tout en omettant, pour une raison que l’on ne peut deviner, le codex Trotti et en lui substituant le sacramentaire de Bergame que venait de publier Dom Cagin de Solesmes (1847-1923).

Le liturgiste milanais Antonio Ceriani, cheville ouvrière de la révision du Missel ambrosien entreprise en 1902, n’avait pas pu mener à bien l’inventaire complet des missels ambrosiens manuscrits, mais avait laissé un important corpus de notes, publiées en 1913, six ans après son décès2. Ceriani mit en valeur et en première position des livres ambrosiens le sacramentaire de Biasca et, celui-ci étant pris comme base, il lui a comparé les sacramentaires ou missels de Trotti, de Lodrino, de Bedero, d’Héribert, du cod. Ambros. E 18 inf., de Bergame, de S. Simplicien et enfin du cod. Ambros T. 120 sup.. Il a fait mention de plus – sans en tenir compte pour son édition – des trois autres sacramentaires ou missels de Monza, de Robert Visconti, et d’Armio. Sa nomenclature comprend donc douze manuscrits seulement, à la plupart desquels, avec une touchante et un peu naïve affection pour son rit, il attribuait une antiquité vénérable, majorée dans certains cas d’un bon siècle.

En 1939, Don Ernesto Moneta-Caglio3 (1907-1995) publia dans son ouvrage sur « la messe ambrosienne et sa pastorale liturgique » une liste de 29 missels ambrosiens manuscrits, tous conservés dans les quatre bibliothèques milanaises citées ci-dessus, soit un chiffre double de celui de Ceriani, et triple de ceux de Delisle et Lejay. Il a toutefois volontairement ignoré tous les missels conservés ailleurs qu’à Milan.

En 1950 enfin, Pietro Borella publia un important répertoire « Saggio di bibliografia del rito ambrosiano » aux Archives ambrosiennes, en précisant qu’il pouvait être « développé et perfectionné. » L’abbé lyonnais Robert Amiet (1912-2000) l’a pris au mot et entrepris dans les années soixante du vingtième siècle une étude historique des livres ambrosiens, réalisant une synthèse qu’il a considérée comme un inventaire exhaustif des 37 sacramentaires et missels ambrosiens manuscrits qui sont parvenus jusqu’à nous, dont deux missels (les n° 15 et 37 de sa nomenclature) qui avaient totalement échappé jusqu’ici à l’attention des érudits. Elle se déroule du plus ancien au plus récent connus, couvrant donc les exécutions manuscrites du début du XIe au milieu du XVe.

La plupart de ces manuscrits sont conservés à la Bibliothèque ambrosienne de Milan :

  • Le Sacramentaire de Biasca de la fin du IXe siècle, porté à l’Ambrosienne en 1776 « Ex ecclesia S. S. Petri et Pauli quae est Abiaschae, metrocomia in Lepontiis »4. Le parchemin a fortement jauni, tant du fait de sa vétusté que de son long usage à l’autel. Il se compose de 312 feuillets, mesurant très exactement 204 x 281 mm, et plusieurs copistes se sont partagé la tâche de le calligraphier à longues lignes, a raison de 25 lignes à la page, sans aucune ornementation. Sa reliure de cuir est moderne, exécutée à Modène en 1956 (cod. A 24 bis Inf.).
  • Les Sacramentaires de Trotti (cod.Trotti 251° et de Lodrino (cod. A 24 bis inf.).  « ex ecclesia Lodrini in Lepontiis » de la première moitié du XIe siècle.
  • Sacramentaire ambrosien du XIe, (cod. T 120 sup)
  • Le sacramentaire de Bedero du début du XIIe
  • L’Ordo de Berold « ordo et caeromoniae ecclesiae ambrosianae mediolanensis ». Ms. cod. 1152 inf. XIIe siècle
  • Le sacramentaire de Robert Visconti.
  • Missel ambrosien, XVe (B.A. Milan) E 18
  • Le Missel de Blanche-Marie Visconti, v. 1450, A 257
  • Le Missel de Desio, 1463, H 269
  • Le Missel de S. Barnabé, 2ème moitié du XVe siècle A. 262ae
  • Miscellanée ,cod. L. 100, XVe siècle

Bibliothèque Trivulzienne

Elle conserve un Missel ambrosien de la deuxième moitié du XVe siècle (A 17), le missel festif de Blanche-Marie Visconti, (E 34, v. 1435) et le missel votif de Brichino, (cod. F 8, 1439).

Bibliothèque du Chapitre

Elle est la mieux dotée après la bibliothèque ambrosienne : sacramentaire d’Héribert ou de Saint Satyre (première moitié du XIe siècle, cod. II.D.3.2.), le Sacramentaire de Saint Simplicien5 (XIe, cod. II.D.3.3), le sacramentaire d’Armio (XIe, cod. II.D.3.1.), deux sacramentaires de Sainte Thècle (1402, cod. II.D.I.1.), le Missel de S. Gothard (deuxième moitié du XVe. Cod. II. D. 2. 31.), le missel de Saint Barnabé (deuxième moitié du XVe, cod. A 262 inf.), un missel ambrosien festif (fin XVe, cod. II.D.1.3.) un Missel des défunts, cod. II D.2.29, 1506 et l’exceptionnel Missel du cardinal Arcimboldi (archevêque de Milan de 1488 à 1497), (1494, cod. II.D.1.13.) de 499 folios en format 288 mm X 403mm, décoré d’une profusion de lettrines miniaturées.

Bibliothèque Brera

Missel de S. Stefano in Brolio, (v.1450, cod. AG.XII.3) et le missel festif de l’archevêque Filippo Archinto, 1557.

Chapitres de Vercelli et Monza : ces deux villes du Piémont italien conservent chacune un sacramentaire du XIe siècle.

Archives de la Basilique Saint Ambroise

La pièce maîtresse conservée à Saint Ambroise est le Sacramentaire de Jean Galeas Visconti, 1395 et un Sacramentaire ambrosien, (deuxième partie XIe, Codex M 17). Six antiphonaires provenant de l’église S. Maria di Crescenzago, plus tardifs (fin XVe) présentent de riches enluminures réalisées par des artistes lombards6 pour le prévôt de cette église et son successeur, Federico Sanseverino, devenu Cardinal en 1492.

Autres lieux hors de Milan :

La bibliothèque centrale de Zurich détient le Sacramentarium Triplex(ms. C 43). D’un intérêt liturgique considérable, il est, selon Dom Cagin, la copie réalisée au IXe siècle, à St Gall, d’un archétype plus ancien : un sacramentaire du VIIIe siècle, révisé en compilant les trois traditions gélasienne, ambrosienne et grégorienne, respectivement notées G, A ,et GG. – d’où son nom de sacramentarium triplex.

En Italie, la bibliothèque vaticane de Rome conserve le Sacramentaire de Saint Maurille de 1347 (cod.Palat.lat.506) et le Sacramentaire de Bergame, (XIe, cod.242) provenant de cette ville, entreposé à la B.V. par sécurité pendant la deuxième guerre mondiale après avoir été dérobé en 1939 à la bibliothèque Saint Alexandre par un employé peu scrupuleux puis rendu à l’évêché de Bergame. La bibliothèque capitulaire de Lucques possède un codex du XIe (cod.605) « ad consecrandum ecclesiam et altaria ».

Le British Museum de Londres abrite le deuxième sacramentaire de S. Simplicien (XIe, ms. Harleian 2510), découvert au XXe siècle sur un manuscrit palimpseste par Dom Odilo Heiming.

Enfin, la bibliothèque nationale de Paris détient un missel ambrosien de la deuxième moitié du XVe siècle (ms.lat. 856), dans un excellent état de conservation mais à la décoration modeste.

  1. Satyre était le frère d’Ambroise de Milan
  2. « Missale ambrosianum duplex », A. Ratti et M. Magistretti, Milan 1913)
  3. Directeur de l’Institut ambrosien de musique sacrée et de la bibliothèque du Chapitre de Milan, maître de chapelle de la cathédrale de Milan et fondateur du Chœur ambrosien. Petit-fils d’Ernesto Teodoro Moneta Caglio (1833-1918), titulaire du seul prix Nobel de la paix italien, à lui décerné en 1907.
  4. Petite ville de la haute vallée du Tessin suisse. Lepontiis : peuple des Alpes (César, De bello gallico, IV, 10.)
  5. Évêque de Milan, successeur de Saint Ambroise.
  6. Artistes anonymes, parmi lesquels le plus talentueux (peut-être un chartreux de Pavie) est nommé par convention « le maître de Crescenzago ». Crescenzago est aujourd’hui un quartier de Milan.

Un vénérable ancêtre : le rite ambrosien

Le rite dit ambrosien a été fixé par Saint Ambroise, évêque de Milan au IVe siècle et porte son nom, à la différence d’autres rites de même époque ou postérieurs liés à une aire géographique : rite gallican, rite romain, rite mozarabe… Par sa connaissance poussée des Écritures, du répertoire grec et des livres byzantins, par son autorité morale et intellectuelle, Ambroise de Milan a opéré une synthèse unifiant le rite de célébration de la messe et des offices, dans une optique plus universaliste que régionaliste, ce qui peut expliquer sa persistance. Le rit ambrosien a survécu jusqu’à nos jours et est encore célébré à Milan, dans plusieurs diocèses du Piémont italien et dans les cantons Sud de la Suisse.

Ambroise de Milan : une ascension fulgurante

Ambroise de Milan est né en 339 ou 340 à Trèves. Son père était préfet du prétoire des Gaules, et conformément aux habitudes de l’époque, Ambroise n’a pas reçu le baptême et est resté catéchumène jusqu’à l’âge adulte. Après la mort de son père, Ambroise déménagea à Rome avec sa mère et ses trois frères et il reçut une éducation en droit en philosophie et en rhétorique et apprit le grec. À 25 ans il devint haut fonctionnaire de l’empire et fut nommé gouverneur consulaire de la province de Ligurie-Émilie : un territoire qui comprend Turin, Gênes, Bologne, Ravenne et la ville de Milan, une quasi-capitale puisque c’était là que résidait l’empereur : Rome était devenue trop difficile à protéger des invasions.

En 374, après la mort de l’évêque arien Auxence, Milan était en crise religieuse entre catholiques et ariens : une bonne partie du diocèse avait suivi Auxence, originaire de Cappadoce et ordonné par son compatriote Grégoire, archevêque arien d’Alexandrie, que le pouvoir impérial avait imposé à Milan bien qu’il ne connût pas le latin. Toutefois, un certain nombre de catholiques étaient restés attachés au dogme trinitaire et des troubles se produisaient régulièrement dans les églises. Ambroise, comme gouverneur, dut intervenir pour maintenir l’ordre. À l’occasion d’une « manifestation », Ambroise se trouva acclamé et réclamé par le peuple lui-même comme nouvel évêque.

Ambroise renonça alors à sa charge politique pour embrasser celle que lui réservait le Christ : évêque du diocèse. En l’espace d’une semaine, il reçut le baptême, la confirmation, l’ordre, puis le sacre épiscopal le 14 décembre 374.

Ambroise prit très à cœur sa charge épiscopale. « Dans l’accomplissement des choses de Dieu, il était d’une extraordinaire ténacité » écrit son secrétaire et biographe Paulin de Milan1.

Pendant 24 ans il défendit l’église catholique face aux empereurs : il imposa ainsi une pénitence publique à l’empereur Théodose Ier après le massacre de Thessalonique2 et refusa la cession d’une église à la mère du jeune empereur Valentinien II, Justine, qui réclamait un lieu de culte arien3. À la mort suspecte de Valentinien II en 392, c’est Ambroise qui prononça son discours funèbre, dans lequel il souligna la fragilité de l’autorité impériale et la nécessité d’un équilibre entre le pouvoir séculier et l’église.

Une œuvre considérable

Ambroise de Milan a écrit de nombreux ouvrages théologiques et liturgiques dont le traité contre l’arianisme « de fide ad Gratianum » et le premier traité de l’église d’Occident sur le Saint-Esprit. Il a joué un rôle clé dans la conversion de Saint Augustin qui admirait ses serments et sa pensée – non sans être critique à son égard mais avec un grand respect. Sa parfaite maîtrise du grec en fit le plus grand propagateur de la théologie grecque en Occident après Hilaire de Poitiers.

Dans deux traités célèbres, De Mysteriis et De Sacramentis, saint Ambroise explique aux catéchumènes les sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, chrismation et eucharistie, en expliquant pièce par pièce leur signification dans l’histoire du salut et leur sens spirituel. Le rite ambrosien actuel conserve de nombreux traits décrits par ses ouvrages : ainsi un passage du IVe livre du De Sacramentis4 nous livre le texte le plus ancien connu du canon de la messe. Ce canon – dont la parenté avec la liturgie égyptienne est sans doute à relier à la prédication de l’évangéliste Marc à Aquilée puis à Alexandrie, fut adopté très tôt par les Églises d’Italie et deviendra par la suite notre « canon romain » dont Milan utilise toujours une version propre (néanmoins très proche de celle en usage à Rome).

Les Hymnes composés par Ambroise ont renouvelé l’écriture du chant hymnique latin commencée par Hilaire de Poitiers, s’inspirant comme lui de modèles orientaux. Augustin rapporte dans ses Confessions (IX,7, 15) un épisode lors du siège des églises de 386, pendant le Carême : « pour éviter que le peuple ne séchât d’ennui, fut institué, à la mode orientale, le chant des hymnes et des cantiques. L’usage s’en est maintenu depuis ce temps jusqu’à aujourd’hui et il a été suivi en maints endroits, voire presque partout, imité de ton troupeau dans le reste du monde ». Ces hymnes avaient beaucoup de succès, et furent faciles à comprendre et à imiter, ce qui rend difficile l’attribution d’une authenticité ambrosienne. Trois hymnes sont indubitablement de lui : « Aeterne rerum conditor », « Deus creator omnium », « Iam surgit hora tertia Intende qui regis Israël »

La postérité d’Ambroise

Les successeurs de saint Ambroise continuèrent son œuvre, en particulier saint Simplicien, son successeur immédiat et saint Lazare (438 † 451) qui plaça les trois jours des Rogations après l’Ascension (avant leur adoption en Gaule par saint Mamert en 474). Chromace d’Aquilée (343-407), évêque d’Aquilée en Vénétie, consacré par Ambroise lui-même, lutta contre les derniers foyers de l’arianisme5.

Charlemagne qui avait continué la politique de son père Pépin le Bref en éradiquant l’antique liturgie des Gaules de ses États au profit du rit de l’Église de Rome, tenta de faire de même pour le rit milanais. Aux dires du chroniqueur Landulphe6, le peuple de Milan résista tant qu’on décida d’une ordalie : on plaça deux livres, l’un romain, l’autre ambrosien, sur l’autel de saint Pierre à Rome, et l’on décida que celui qui serait trouvé ouvert au bout de trois jours serait utilisé. Mais tous deux s’ouvrirent et grâce à ce « prodige », l’ambrosien fut sauvé. Les livres ambrosiens ayant déjà été détruits, des clercs de Milan rédigèrent alors de mémoire un manuel complet de leur liturgie. Quoiqu’on puisse dire de l’exactitude historique de ces faits rapportés par Landulphe (fantaisistes selon Louis Duchesne), on ne possède en effet aucun livre antérieur au règne de Charlemagne.

La lutte ne fut pas gagnée pour autant : le pape Nicolas II, qui avait tenté en 1060 d’abolir le rit mozarabe, lui aussi chercha à abolir l’ambrosien, secondé dans cette triste tâche par saint Pierre Damien. Le rit ambrosien fut préservé à nouveau par son successeur le pape Alexandre II. Le pape Grégoire VII (1073 † 1085) réitéra la tentative de suppression, de même que Branda de Castiglione († 1443), cardinal et légat du pape en Lombardie. Le rit sera finalement définitivement fixé et protégé grâce au travail acharné de saint Charles Borromée († 1584), le grand archevêque de Milan dont le travail d’établissement de normes d’édition est comparable à celui qu’accomplissait à la même époque saint Pie V pour le rit romain.

Dans la constitution sur la liturgie (4 décembre 1963), le concile Vatican II a manifesté un intérêt renouvelé pour l’ensemble du patrimoine liturgique, allant jusqu’à prendre cet engagement : « Obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église tient pour égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes les façons ».

Le missale ambrosianum fut approuvé dans son édition provisoire de 1972 par ordre du Cardinal Giovanni Colombo, archevêque de Milan, avec l’autorisation du pape Paul VI : lui-même ancien archevêque de Milan, il ne souhaitait pas la disparition du rite ambrosien. L’édition latine définitive du missale ambrosianum date de 1981 et l’édition italienne de 1986.La liturgie des heures fut, elle, promulguée par le Cardinal archevêque de Milan Carlo Maria Martini en 1983, et entra en vigueur à l’Avent 1984.

Les qualifiant de « vieux rites », Louis Duchesne les déclarait « doublement sacrés », car « ils nous viennent de Dieu par le Christ et par l’Église. Mais ils n’auraient pas à nos yeux cette auréole, qu’ils seraient encore sanctifiés par la piété de cent générations. Pendant des siècles on a prié ainsi ! Tant d’émotions, tant de joies, tant d’affections, tant de larmes, ont passé sur ces livres, sur ces rites, sur ces formules ! »

  1. Paulinus Mediolanensis (v.370-429 ?) « Vita Ambrosii »
  2. Sur l’ordre de Théodose I
    er, ses soldats goths encerclèrent l’hippodrome de Thessalonique lors d’un événement sportif et y massacrèrent sept mille spectateurs, en représailles du lynchage d’un commandant de la garnison.
  3. Confisquée et cernée par des soldats de l’empereur le dimanche des Rameaux, la Basilica Portiana fut occupée par Ambroise qui y célébra tous les offices pour de nombreux fidèles pendant les jours saints, obtenant le Jeudi Saint la levée du siège de l’église. Les mesures coercitives prises par la suite contre Ambroise par Valentinien sont rapportées dans sa Lettre XX à sa sœur Marcellina.
  4. Des critiques ont contesté la paternité du
    De sacramentis, l’attribuant à Nicétas de Remesiana. Le plus probable est que De sacramentis soit l’œuvre d’un proche successeur d’Ambroise, pénétré de son enseignement, qui aurait rassemblé et consigné par écrit ses catéchèses en les retouchant très légèrement.
  5. consulter l’Audience générale du pape Benoît XVI du 5 Décembre 2007, sur Chromace d’Aquilée, Libreria Editrice vaticana.
  6. Landulphe de Colonne, dit « chanoine de Chartres », érudit médiéval, auteur de « Breviarum historiale » ou « Historia miscella » (1428 ?).

Libaire : la sainte céphalophore des Vosges

L’église Sainte Libaire de Rambervillers (Vosges) a été construite au XIIIe siècle par Etienne de Bar, évêque de Metz, dans cette petite ville, le siège d’une châtellenie du temporel de son évêché, qui dépendait toutefois au spirituel du diocèse de Toul. Il fonda en même temps à proximité l’abbaye d’Autrey. Disparue à la suite d’incendies ou faits de guerre, l’église fut reconstruite au XVIe siècle par Conrad II Bayer de Boppart, évêque de Metz, en grès bigarré des Vosges extrait des carrières d’Autrey et de Fremifontaine toutes proches. Consacrée en 1516 par l’évêque Jacques de Lorraine, l’église fut saccagée en 1557 par les soldats du baron Polwiller, bailli de Haguenau au service de Charles Quint. La charpente fut entièrement refaite en 1564. Inscrite à l’inventaire spécial des M.H. dès 1926, elle est classée monument historique depuis 1986.

Elle est consacrée à Sainte-Libaire (ou Lievière), première martyre du diocèse sous Julien l’Apostat : Libaire refusa d’adorer à Grandesina (site actuel de Grand, dans les Vosges) la statue d’or d’Apollon qu’elle pulvérisa de sa simple quenouille, selon les hagiographes. Elle fut décapitée en 362. La chapelle Sainte-Libaire, extérieure à la porte du cimetière de Grand, en indique le lieu, à hauteur de la deuxième borne miliaire près d’Apollogranum ou Grandesina.

Construite en style gothique flamboyant, cette grande église (40 X 15 m), sans transept (particularité de l’école champenoise) est jalonnée d’arcs-boutants, dont les contreforts dont surmontés de pinacles d’où s’élance une aiguille conique terminée par une boule. La flamboyance s’observe elle avant tout dans les remplages, c’est-à-dire dans les armatures en pierre des vitraux, qui présentent une forme très caractéristique de flammes. Les cinq grandes fenêtres du chœur et les trente-quatre fenêtres à deux ou quatre meneaux sont dotées de vitraux du XIXe siècle.

Une statuaire et un mobilier anciens et typiques classés

Sont ainsi classés : la statue de Sainte Anne et la Vierge à l’enfant du XVe siècle, une pietà du XVIe siècle primitivement polychrome, une Pietà du XVIIIe placée au-dessus du petit autel qui surplombe la tombe d’Elisabeth de Brens (1609-1668), Bénédictine du couvent de Rambervillers, des statues de la chapelle du calvaire construite selon les vœux de trois soldats rescapés de la retraite de Russie style rhénan) et les statues de Sainte Libaire, l’une en pierre dorée de la fin du XVIe siècle, l’autre de 1919 placée près de l’autel, ainsi que l’aigle-lutrin baroque en chêne sculpté et le tableau de François Sénémont (1777) qui raconte le martyre de Sainte Libaire, tout comme la statue du Christ de Rambervillers adossée au chœur : la croix serait du XVIIIe, mais le Christ du XVe, provenant d’une poutre de gloire (arc triomphal qui séparait jadis le chœur de la nef).

Le fondeur Robert qui a réalisé en 1804 trois cloches : Marie, Victoire et Jeanne, en a ajouté une quatrième plus petite qui sonnait autrefois pour l’enterrement des indigents et des enfants.

Les confessionnaux réalisés au XVIIIe siècle dans le style Louis XV ils présentent d’originaux volets de bois sculpté, destinés à édifier le pénitent durant son attente au confessionnal. Sainte Libaire est fêtée le 8 octobre dans le rituel de Toul-Nancy, et le 8 octobre dans le rituel de Saint-Dié.