Vivre longtemps en bonne santé physique et mentale
« Derrière chaque organe du corps, se trouvent des cellules qui sont les plus petites parties vivantes du corps. De leur force, de leur robustesse, de leur faiblesse ou de leur sénescence, dépend intimement notre bonne ou mauvaise santé. Il est possible d’influencer, voire de programmer, d’une manière bénéfique pour nous, nos cellules et notre corps. Il est vrai que la jeunesse ne se sent pas encore concernée par ce genre de préoccupation. En effet, le corps et l’ensemble des organes sont en pleine croissance ; les cellules sont jeunes, robustes, résistantes et le système immunitaire est encore performant. Les maladies sont rares. Le corps résiste bien. La période de vie adulte est encore tranquille jusqu’à la quarantaine. Les petits soucis peuvent alors commencer, pas de manière très grave, mais comme une forme de signal. Et c’est à ce moment-là que l’on doit sérieusement songer à sa santé présente et future. Par notre comportement, avant le déclin de nos facultés, nous pouvons nous orienter dans le sens que nous souhaitons. C’est ce que j’ai essayé de faire, il y a une quarantaine d’années. »
Il ne faut plus l’appeler ainsi ! L’humeur, c’est complexe : aux connexions de l’esprit et du corps, il y en a quatre principales (le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire) dont la circulation dans le corps suit des réseaux vulnérables et dont l’équilibre influe sur l’état d’esprit et peut créer des maladies. Gare à l’humeur noire (que la médecine grecque a qualifiée en mélancolie, du grec « mélanos » : noir, et « cholè » : humeur) du lundi ! Trop compliqué, de nos jours, il faut parler et s’occuper du « ressenti ».
Le « ressenti » est à l’humeur ce que la « température « ressentie » est au thermomètre : le triomphe de la subjectivité. Mon humeur, ma bataille, filons vite chez le coach émotionnel qui va permettre au « ressenti » d’advenir au langage, de s’exprimer, de se collecter (comme la « mauvaise humeur » se collecte dans un abcès) et d’être brandie comme le drapeau du moi malmené par l’environnement extérieur, matériel et social. Ce lundi, il fait froid, gris, et nos humeurs gèlent, ce mardi, des gens de mauvaise humeur manifestent… ce mercredi, nous ferons du rattrapage scolaire si nous pouvons.. et ne voyons pas au-delà : l’humeur est très volatile, très changeante, car du ressenti que peut-on faire ? Se questionner comme Socrate et comme invitent à le faire les bons coachs : cette humeur, qu’est-ce qu’elle me fait ? et qu’est-ce que j’en fais ?
Née à Bermersheim, près d’Alzey, en Hesse (ses ancêtres étaient barons du lieu), Hildegarde fut confiée, à huit ans, aux bénédictines de Disibodenberg. À quinze ans, elle reçut le voile des moniales et, à trente-huit ans, fut élue abbesse (1136). Elle fonda en 1147 un nouveau monastère dans un lieu moins riant, à Rupertsberg, et y transféra sa communauté.
Le monastère de Rupertsberg abritait un hôpital où elle a pratiqué la médecine qu’on appellerait aujourd’hui holistique et dans une perspective écologique : culture de plantes et légumes permettant une nourriture saine et des traitements médicamenteux. Hildegarde a fixé le savoir médical de son époque et certains monastères s’inspirent encore de nos jours de ses techniques et agencements de culture.
Elle a joui de visions qu’elle a transmises dans ses écrits, principalement le Sci vias (Connais les voies du Seigneur), qui met la doctrine de l’Église en tableaux allégoriques et évoque l’essence et le devenir de l’Église symbole de la relation entre l’homme et son créateur; le Livre des mérites, qui présente les données de la morale chrétienne sous une riche imagerie symbolique puisée dans les Écritures, la règle de saint Benoît et les Pères de l’Église ; le Livre des œuvres divines, d’allure plutôt scientifique. Dans « Physica » et « Causae et curae » elle aborde la médecine avec un sens solide des réalités terrestres qui ne contredit pas sa sensibilité mystique. Elle utilisa une langue inspirée et complexe qui a parfois réservé ses écrits aux érudits, tout en cherchant avec ferveur une harmonie toute inspirée de l’harmonie musicale : le terme symphonia qu’elle utilise régulièrement désigne l’harmonie musicale autant que l’harmonie céleste, l’âme elle-même étant « symphonique ».
« la musique, et par elle la liturgie , furent les instruments les plus efficaces dont disposa la culture du XIe siècle. Les mots permettent de sonder les mystères du monde et conduisent à Dieu. La mélodie mène vers Lui plus directement encore par ce qu’elle laisse percevoir des accords harmoniques de la Création, et par le moyen qu’elle offre au cœur humain de se coupler dans la perfection des intentions divines. » écrit Jean Marie Marchal à propos d’Hildegarde de Bingen1, et de ses Symphonia armonie caelestium revelationum (vers 1150), qui sont une transcription musicale de ses visions. La plupart de ses œuvres sont destinées à l’office, qui se prêtait mieux à des innovations de contenu. L’art d’Hildegarde de Bingen est d’une grande simplicité : ses compositions sont construites sur un nombre réduit de fragments mélodiques combinés et enrichis de mélismes, et ravissent par leur concision et leur lyrisme solennel. Des écoles différentes proposent des interprétations tantôt sobres voire austères (Organum) tantôt vibrante d’émotion toute intérieure et inspirée ( Sequentia, Oriscus).
Hildegarde de Bingen a laissé aussi plus de trois cents lettres énergiques et clairvoyantes adressées à de grands personnages, y compris au pape et à l’empereur. Enfin, dans l’administration de son monastère, Hildegarde a montré une fermeté, un savoir juridique, une prudence et une habileté remarquables. Avec la conviction que « l’homme est la clôture des merveilles de Dieu. »
« L’Esprit du Seigneur s’était retiré de Saül et un esprit mauvais, venu du Seigneur, le tourmentait. Ses serviteurs lui dirent « voici qu’un esprit mauvais te tourmente. Tes serviteurs sont à ta disposition. Ils chercheront un homme qui sache jouer de la lyre. Ainsi, quand un esprit mauvais, venu de dieu, t’assaillera, il en jouera et cela te soulagera. Saül dit à ses serviteurs « trouvez-moi donc un bon musicien et amenez le moi. Ils firent appel à David. Ainsi, lorsque l’esprit de Dieu assaillait Saül, David prenait sa lyre et en jouait. Alors Saül se calmait, il se sentait mieux et l’esprit mauvais se retirait de lui » (Samuel, Livre I, XVI, 14-17, 23).
L’homme et la musique : l’histoire millénaire d’un langage universel
La musique est apparue avant l’agriculture dans l’histoire de l’humanité. Des instruments de musique figurent parmi les objets les plus anciens retrouvés par les archéologues et figurent dans certaines peintures rupestres. Dans l’histoire de la musique, l’homme a d’abord chanté puis inventé les instruments pour imiter son chant. Les premiers instruments utilisés par l’homme étaient des instruments rythmiques, parce que la voix ne marquait pas efficacement le rythme. Les instruments mélodiques sont venus ultérieurement, dans la recherche d’autres sonorités1, mais toujours à l’imitation de la voix. Selon la psychanalyste Marie-France Castarède, le premier homme parlant ressemble, par la configuration de son cerveau, au bébé actuel dans la première année de sa vie : tous les deux privilégient le langage des émotions transmis par la voix, bien avant que les idées et les concepts se forment et puissent s’exprimer. L’échange vocal est « musical », par la vocalisation « régressive » qu’utilisent les adultes pour s’adresser au bébé, mais il est aussi déjà « à l’unisson » plutôt qu’en répliques alternées. (« Au commencement était la voix » Éditions Erès, 2005)
Athénée de Naucratis, dans son livre XIV des « Deipnosophistes » cite Théophraste qui affirmait en l’an 371 avant notre ère que la musique générait et modifiait des états d’humeur différents selon les modes musicaux de l’Antiquité : lydien(tritus)phrygien(deuterus)dorien(protus)hypolydien, hypophrygien, hypodorien, myxolydien (tetrardus). Ainsi, le mode phrygien était réputé calmer certaines névralgies et agir sur la mélancolie, le mode dorien incitait à la retenue l’esprit possédé. En Chine au troisième siècle avant notre ère, Lu Buwei, chancelier de l’État de Qin, aboutissait aux mêmes conclusions : les sons possèdent leurs propres règles et un son fort brouille l’entendement, un son faible le déçoit, un son aigu l’inquiète, un son grave l’oppresse.
Au Ve siècle de notre ère, le médecin romain du Ve siècle Caelius Aurelianus a théorisé l’action des différents modes musicaux sur l’esprit et le corps humains et a traduit et complété les œuvres du Grec Soranos d’Ephèse sur les maladies aigües (publiées à la Renaissance sous le titre « De morbischronicis ») : chaque mode dégage une atmosphère particulière et provoque un état différent. (photo 1: « De morbis chronicis »)
Boëce au VIe siècle, dans « De institutione musica », décrit la musique comme « un nombre rendu audible » et la divise en trois niveaux : la musica instrumentalis, la musica humana (voix), la musica mondana.Tandis que la musique « humaine » organise l’homme en son intériorité micro-cosmique, assurant l’équilibre des quatre humeurs sanguine, lymphatique, colérique et mélancolique, la musique « du monde » est définie comme l’ organisation macro-cosmique du monde et de ses éléments. Au IXe siècle, le philosophe et astronome arabe Ibn Isääq Al Kindi reprend la même différenciation et met aussi les modes musicaux en correspondance avec certains effets sur l’âme. Ibn-Sinä (plus connu sous le nom d’Avicenne), un siècle plus tard, développera ces actions de la musique sur l’esprit dans son « Livre de la guérison ».
Bartolomé Ramos de Parega dans son traité « Musica pratica » (1482) établit un lien fonctionnel entre un ton musical, un trait de caractère ou plutôt une « humeur », et une caractéristique astrologique. Le tonus protus correspond au phlegme et à la Lune, le deuterus à la bile et à Mars, le tritus au sang et à Jupiter, le tetrardus à la mélancolie et à Saturne. Le poète et philosophe italien Marsile Ficin (1433-1499) qui a traduit Platon, explicite l’effet du son musical : « par l’air purifié il excite l’esprit aérien, par l’émotion il affecte les sens et en même temps l’âme. Par la signification, il touche l’intellect. Finalement, par le mouvement même de l’air subtil, il pénètre profondément et avec véhémence.Par son harmonie,il caresse suavement par la conformité de sa qualité, il nous inonde d’une merveilleuse volupté. Par sa nature tant spirituelle que matérielle,il saisit d’un seul coup l’homme tout entier, et il le possède complètement »2. Un siècle et demi plus tard, le compositeur et gambiste hollandais Johannes Schenk ( 1660-1712) assure que « beaucoup de faits montrent que Dieu, dans sa bonté et dans sa toute-puissance, a donné aux harmonies musicales l’admirable propriété de calmer les sentiments troublés de notre âme, de rendre des forces à notre intelligence et de l’exciter à nouveau : mes nombreuses expériences le prouvent »3.
Les précurseurs de la musicothérapie
Le savant et jésuite Athanasius Kircher (1602-1680) est considéré comme le précurseur de la musicothérapie. Kircher est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dans des domaines aussi différents que l’astronomie, la géologie, la biologie, le magnétisme4, la lumière, et de deux mille lettres échangées avec les savants de son époque (Leibniz en était friand). Dans sa somme de musicologie (« Musurgia universalis » ,1650), il établit une méthode de classification des styles musicaux fondée sur des caractéristiques sociales et nationales et pose les bases de la musicothérapie.
Dans son « Traité des effets de la musique sur le corps humain » (1803), Joseph-Louis Roger rappelle que Xénocrate fit creuser des tiges d’éllébore pour guérir les maniaques et constate que « la musique détourne l’attention de l’âme, l’occupe par un doux plaisir, imprime au fluide nerveux un cours égal qui s’oppose aux désordres de l’esprit et à des maladies spasmodiques.(..) Si nous pouvons concevoir de quelque manière le bonheur de la vie future, je ne connais que le plaisir de la musique pour nous en fournir l’idée ».
Au début du XIXème siècle, l’anatomiste Gall avait décomposé l’esprit en un certain nombre de facultés et attribué une localisation à chacune au niveau du cortex cérébral.Le médecin des campagnes napoléoniennes Bouillaud (1796-1881) a exposé en 1825 sa thèse de localisation frontale d’un centre du langage. Broca (1824-1880) poursuivit ces recherches et localisa précisément le contrôle de la parole dans la troisième circonvolution frontale de l’hémisphère gauche, dite depuis « aire de Broca », démontrant aussi l’asymétrie des hémisphères cérébraux et approfondissant l’étude de l’aphasie. Ce n’est qu’après 1950 qu’a été mis en évidence le rôle de l’hémisphère droit dans les capacités visuelles, spatiales, l’attention et la musique. La musique a la particularité d’être concernée par les deux hémisphères cérébraux : l’hémisphère droit est le siège du ressenti de la mélodie, du timbre et du ton, qui permet le traitement et la mémorisation des sons. Mais c’est dans l’hémisphère gauche que se déploient le rythme et la mesure.
La musicothérapie pour l’équilibre de l’esprit et l’expression de l’âme
Les bases étaient donc jetées depuis longtemps pour aboutir à l’émergence d’une discipline paramédicale, la musicothérapie, qui se définit comme un ensemble de pratiques d’accompagnement thérapeutique, de soutien et de rééducation utilisant les sons et la musique sous toutes ses formes, comme moyen d’expression, de communication, de structuration de la relation avec le monde extérieur.A la jonction de l’intériorité de la personne et de sa projection par la voix ou l’instrument de musique vers le monde extérieur, la musique met en jeu des processus complexes que la thérapie peut convoquer et accompagner pour des personnes présentant des difficultés liées à des troubles psychiques, sensoriels, physiques et neurologiques, en élaborant un langage apte à susciter et exprimer des émotions et des sentiments de façon non verbale. Il est courant de nos jours d’utiliser la musique et les techniques psycho-musicales, tant en thérapie de troubles psychotiques, névrotiques, comportementaux, psycho-sociaux, qu’en rééducation de patients cérébro-lésés (voir encadré), ou souffrant de séquelles d’AVC, voire en analgésie pré-anesthésique et en soins post-opératoires.
Dès le début du XIXème siècle, Philippe Pinel(1745-1826)institue à la Salpêtrière le « traitement moral de la folie » , recommandant d’améliorer le cadre de vie des malades aliénés, tant par l’hygiène et des activités encadrées que par la musique, « douce et harmonieuse, à diffuser par intervalles, et d’autant plus facile obtenir qu’il y a toujours dans les hospices un artiste distingué dont les talents languissent, faute d’exercice et de culture »5. Dans le même esprit, le Dr François Leuret(1797-1851) voulut expérimenter la pratique du chant choral et de la musique de fanfare pour le « traitement de la folie » (1846).
Des travaux menés en Amérique du Nord (Willem van de Wall6, Gottfried Schlaug7 ), en Angleterre (British Society for music therapy and remedial music, 19678 ), en Autriche (1959)9 ont fait avancer la discipline. En France, la fondation du premier centre ARATP10 en 1965, puis le lancement de la première formation universitaire de « musicothérapeute » à Montpellier en 1978, de la première association française de musicothérapie et du centre international de musicothérapie (1981) sous l’impulsion d’Edith Lecourt ont été autant d’étapes décisives.
La Revue française de musicothérapie a été créée en 1981 et la Fédération française de musicothérapie en 2016. Les universités de Montpellier, de Nantes, de Caen et de l’université de Bourgogne mènent des recherches en neurologie et neuro-imagerie, sur la perception, la mémorisation et l’émotion musicales. Dans les années 2010 a été lancé un vaste projet de cartographie cérébrale de la mémoire musicale chez des sujets musiciens et non-musiciens. La neuro-imagerie démontre que les différences anatomiques les plus notables, entre musiciens et non musiciens, se situent au niveau de l’hippocampe, région clé de la mémoire. Une augmentation de densité de la substance grise est observée chez les musiciens : elle est corrélée avec le nombre d’années de pratique musicale, mais non avec l’âge de début d’apprentissage11.
Le regretté Louis-Marie Vigne, dans un entretien à « La Vie » insistait sur la nécessité d’ « intérioriser la parole » par son intégration dans le corps : « la parole, de proclamation, devient intériorisation, elle entre en nous, nous pénètre et, par le chant, nous la rendons à celui qui nous l’offre. Le chant est à la fois intériorisation et offrande de cette même parole à Celui de qui nous l’avons reçue ». Et d’ajouter « le chant grégorien est une technique corporelle,on chante avec l’ensemble de son corps, avec sa respiration, avec tout son être. C’est une tradition corporelle de l’Occident ». Qu’il nous soit permis de lui emprunter sa conclusion : « la modification de notre conscience du temps est une des plus belles vocations de la musique, mais dans le mélisme, cela devient palpable. Ce sont des moments d’éternité qui s’insèrent dans le temps. ».
« Origine des instruments de musique » A. Schaeffner, Mouton Éditeur, 1968.↥
« De triplici vita » 1489. Traduction de 1581 « Les trois livres de la vie » Arthème Fayard, 2000.↥
« Observationum medicarum rariorum » chez Jean-Antoine Huguetan, Lyon, 1644.↥
Kircher attribue à chacune des personnes de la Trinité une des trois forces caractérisant l’aimant : au Père « qui embrasse toutes les choses en Lui » convient la force attractive (vis attractiva), au Fils « Logos et Sagesse », la force qui dispose(vis dispositiva), à l’Esprit Saint qui est amour, la « force de connexion »(vis connectens)↥
« Traité médico-philospohique sur l’aliénation mentale », J-A Brosson à Paris,1809.↥
In « Musics in Hospital », Russell Sage Foundation, 1946.↥