Églises de Vienne

VOTA MEA REDDAM IN CONSPECTU TIMENTIUM DEUM (Ps. XXI)

Que j’accomplisse le vœu que j’ai formé devant ceux qui craignent Dieu

L’église de Charles : Charles Borromée, le saint Cardinal à l’œuvre immense et révéré bien au-delà de son Piémont natal, qui fut invoqué pendant la grande peste de 1713 qui emporta plus de huit mille personnes à Vienne. L’empereur Charles VI (1685-1740) la fit ériger en 1716, après l’extinction de l’épidémie en 1714. Il fit collecter des fonds et matériaux de construction dans tout son empire (états héréditaires, ainsi que la Sardaigne, Milan, Naples, les Pays-Bas espagnols et les pays de la couronne de Hongrie). Elle fut consacrée le 28 octobre 1737.

Une histoire mondiale de l’architecture et
Un des « plus grandioses espaces religieux du monde »

L’architecte Josef Emanuel von Erlach succéda en 1723 à son père Johann Bernhard, vainqueur d’un concours organisé pour l’édification de l’église votive.
La façade centrale est dominée par un portique à six colonnes de style gréco-romain, surmonté d’un fronton triangulaire, évoquant les temples antiques. Deux anges à l’avant du portique symbolisent l’Ancien et le Nouveau Testament.

Le portail est encadré par deux colonnes monumentales inspirées de la colonne de Trajan à Rome, hautes de 47 mètres, arborant les aigles impériaux à leur sommet et richement sculptées en spirale avec des scènes illustrant la vie de saint Charles Borromée. Elles évoquent également les colonnes Jakin et Boaz du Temple de Salomon, ainsi que les Colonnes d’Hercule, soulignant la continuité entre l’Empire romain et le Saint-Empire romain germanique.

Le saint élève sa prière au-dessus du portail, entouré des vertus de miséricorde (le pélican), de pénitence (le serpent) de l’ardeur de la prière (le coq) et de la religion (la licorne).

Une imposante coupole elliptique, haute de près de 72 mètres, surmontée d’un lanternon accessible par un ascenseur panoramique est percée de fenêtres offrant une lumière rayonnante et ornée de fresques baroques. La vaste fresque de Johann Michael Rottmayr, de plus de mille mètres carrés, représente ’apothéose de saint Charles Borromée, avec des scènes célestes et glorifiant la sainteté du personnage. Dans l’une d’elles on reconnaît l’ange brandissant l’épée de la punition divine sur Vienne au-dessus du portail d’entrée, qui replace l’épée dans son fourreau, indiquant ainsi la fin de l’épidémie. Les vertus théologales encadrent la scène, la Foi présentant l’Eucharistie en une figure splendide qui triomphe sur le diable, le mensonge et l’hérésie.

Le maître-autel est, lui aussi, structuré en plusieurs foyers optiques et saint Charles Borromée semble y flotter au-dessus du tabernacle sous la lumière divine qui surgit d’une couronne de nuages éclatants. Les hauts-reliefs représentent les évangélistes, (leur relief se détachant donc légèrement du mur) alors que les Pères de l’Église ((Ambroise, Grégoire, Jérôme, Augustin) sont, eux, entièrement sculptés : l’artiste signifie ainsi que la compréhension correcte de l’Évangile ne peut se faire que par le Magistère.

Plusieurs chapelles latérales jalonnent les bas-côtés. Si, à l’extérieur se trouvent la représentation de la peste, la mort, le désespoir., c’est à l’intérieur que se forge l’espérance, avec plusieurs représentations du Christ Sauveur. Les peintres les plus réputés de leur époque ont dont contribué à la décoration de ces chapelles : Sebastiano Ricci (1659-1734) pour l’Assomption de Marie, Daniel Gran (1694-1757) pour la représentation de Sainte Elisabeth du Portugal, patronne de l’impératrice Elisabeth, épouse de Charles VI, Jacob van Schuppen (1670-1751) pour « Lucas, composant le portrait de Marie Mère de Dieu.

Un haut lieu de la musique sacrée

Encouragée par les empereurs, la composition et la diffusion de la musique sacrée a trouvé en la Karlskirche un cadre à l’acoustique exceptionnelle. Johann Joseph Fux (1660-1741) composa pour cette église une missa canonica a capella, Christoph Willibald Gluck (1714-1787) un oratorio et Charles Gounod (1818-1893) un Requiem, en Ré mineur. La célèbre messe allemande de Schubert (1797-1828) a été donnée ici pour la première fois.

L’orgue baroque date de 1739 se compose en réalité de trois orgues distincts intégrés dans un même instrument. Ces trois orgues sont alimentés par une soufflerie commune, ce qui permet de jouer sur chacun d’eux séparément ou simultanément, offrant ainsi une grande richesse sonore et une grande flexibilité d’interprétation. Au centre se trouve l’orgue baroque en courbe de 1739, encadrée par des compléments angulaires de 1847 qui ont fait passer l’orgue, de 18 à 31 registres. La restauration la plus récente et la plus significative de l’orgue de la Karlskirche a été réalisée en 1989 par le facteur d’orgues autrichien Gerhard Hradetzky.

La Karlskirche est un triple témoignage artistique et sacré : grandeur de l’empereur, défense de la foi chrétienne et gratitude pour le sauvetage de la peste.

Saint Leopold am Steinhof

C’est sur l’emprise de l’établissement de soins psychiatriques du Steinhof, du nom d’une colline à l’ouest de Vienne en Autriche, et dont l’empereur François-Joseph a posé la première pierre en 1903, que l’architecte autrichien Otto Wagner (1841-1918) a construit l’église Saint Léopold.

Une église couronnant tout l’espace de soins
Cet établissement de soins créé par le gouvernement régional de Basse-Autriche en 1903 pouvait accueillir 2200 patients. C’était le plus grand et le plus moderne établissement psychiatrique d’Europe à l’époque et l’Église devait en être le couronnement et dominer toute la zone. Otto Wagner n’a construit que l’Église et fut assisté par les architectes Carlo von Boog. (1854-1905) qui décéda pendant la construction et Franz Berger (1841-1919).

La famille impériale n’apprécia pas l’esthétique du bâtiment et l’’héritier du trône. François -Ferdinand le fit savoir, déclarant préférer le style « Marie-Thérèse » et critiquant le « Jugendstil » qui inspira Wagner. La réponse polie de celui-ci « cette église a été simplement conçue dans le but de prier » lui valut de ne plus recevoir aucune commande de la famille impériale de sa vie. C’est d’ailleurs parce qu’elle a été construite relativement loin du centre et qu’elle n’était pas visitable puisque réservée à l’usage du personnel et des malades de l’institution que l’on a accepté cette architecture « délirante ». Otto Wagner persévéra dans son idée de base selon laquelle l’art se combine avec la fonctionnalité, qu’il faut non seulement regarder, s’émerveiller sur l’art, mais aussi l’utiliser. Il s’est laissé conseiller par le personnel soignant.

Ainsi Otto Wagner a-t-il orienté l’Église du Sud au Nord, et non pas d’Ouest en est. Il a installé de grandes fenêtres à l’ouest et à l’est afin que la lumière puisse pénétrer toute la journée et que les malades mentaux se trouvent dans une ambiance lumineuse. Il a ménagé des espaces où placer les malades les plus perturbés, proches des portes de sortie.

Un intérieur de lumière et de paix

On accède à l’Église par sa façade principale au Sud. La brique, matériau principal de la construction, a été revêtue de de dalle de marbre de Carrare de 2 cm d’épaisseur. Au-dessus des chapiteaux s’élève 4 figures d’ange en bronze. Derrière eux, avec un motif tourné vers l’extérieur, donc invisible de l’Intérieur, se trouve l’un des magnifiques vitraux en mosaïque du peintre et décorateur Koloman Moser (1868-1918), l’’un des fondateurs de l’atelier viennois. Il représente l’expulsion d’Adam et Ève du paradis.

La coupole de l’Église repose sur un tambour et surmonté d’une lanterne accessible de l’Intérieur et de l’extérieur : cette structure en fer pèse près de 100 tonnes. Elle est recouverte de tôle de cuivre.

Le magnifique baldaquin de l’hôtel principal attire le regard dès l’entrée et le chœur est éclairé par les 2 grandes fenêtres latérales réalisées par Koloman Moser représentant une fontaine. Derrière l’autel se trouvent des marches qui permettent aux prêtres de placer l’ostensoir de style art nouveau au-dessus du tabernacle. La chaire, conçue par Paul Neumann, n’est accessible que par la sacristie.Les murs de l’Église sont recouverts de dalles de marbre de 3 M de haut. La tribune autrefois réservée au personnel médical et administratif, où les patients n’étaient pas autorisés à entrer, abrite un orgue pneumatique rare à Vienne, construit par le facteur d’orgue Franz Joseph Sbwoboda, qui comporte 2 claviers de 5 et 3 registres et un pédalier à 3 registres.

Les saints représentés dans les vitraux de Koloman Moser regardent tous vers le retable du maître-autel, réalisé en mosaïque sur une surface de 84 m2. Il représente le Sauveur qui accueille au ciel les saints auxiliaires et l’intercesseur des malades. En bas à droite, Saint Léopold expose dans sa main la maquette de l’Église avec le Sauveur bénissant. Les 2 tableaux des autels latéraux représentent l’Annonciation et l’ange Gabriel.
Otto Wagner a apporté un grand soin à la conception de tous les détails de l’aménagement intérieur et des objets liturgiques. (Calice, ostensoir, bénitier, aspersoir, lampadaires et chandelier pour le cierge pascal.) Il a lui-même dessiné les luminaires principaux, les grilles de protection, les rampes d’escalier et jusqu’aux vêtements liturgiques. L’Église de Saint Léopold am Steinhof est une œuvre majeure d’Otto Wagner. Pensée pour la prière et les offices et pour permettre aux malades mentaux de pratiquer leur religion dans un environnement apaisant et inspirant, elle est en ce sens unique au monde.

Article à paraître dans la revue Una Voce n°352 de Juin-Juillet 2025