La sculpture dans les églises parisiennes : l’art sacré pour enseigner, commémorer, émouvoir.

Le COARC a pour mission d’inventorier, de restaurer et de valoriser le patrimoine constitué par les 40 000 œuvres d’art sont conservées donc 96 lieux de culte, la plupart catholiques, appartenant à la ville de Paris. Voici un florilège de cette impressionnante collection.

Église saint Sulpice (Paris VIe) Vierge de douleur d’Edme Bouchardon, Mausolée de l’abbé Languet de Gergy de Michel-Ange Stoltdz.

L’église Saint-Sulpice possède des sculptures classiques de Bouchardon, des bénitiers rocaille de Pigalle, des bas-reliefs des frères Slotdz, et de nombreuses statues de Louis Boizot. C’est un musée de sculptures où se lit l’évolution de la statuaire du 18e siècle. À cette époque l’église est assez vaste pour accueillir une multitude d’œuvres d’art. La petite église devenue trop exigüe pour la population grandissante de la paroisse fut démolie en 1643 et c’est son entreprenant curé Jean Baptiste Languet de Gergy qui organisa en 1719 des loteries pour financer le projet d’un édifice capable de rivaliser par ses dimensions avec Notre-Dame de Paris. La façade est élevée à partir de 1732 par Jean-Nicolas Servandoni, qui superpose 2 colonnades sur le modèle de Saint-Paul de Londres et des grandes basiliques de Rome. Le jeune sculpteur Edme Bouchardon est chargé de réaliser 24 statues pour orner le cœur et la nef, donc seuls 10 seront finalement réalisés et placer sur des piliers du chœur : La Vierge, Le Christ et 8 apôtres. Le mausolée de l’abbé Languet de Gergy décédé en 1747 fut réalisé en 1750 par René-Michel Stoltdz, appelé Michel-Ange Stoltdz au retour de son long séjour à Rome, en raison de son talent. Il créa un tombeau caractéristique de l’art baroque romain qui demeure l’unique témoignage parisien de l’art funéraire du XVIIIe siècle

Saint Gabriel (Paris 20e)

La première pierre de cette église a été posée par le cardinal Verdier le 15 septembre 1934 le territoire de la paroisse correspond au quartier appelé autrefois le « petit Charonne ». On y trouvait les anciennes fortifications, le dépôt des tramways de la compagnie des omnibus de Paris et une usine à gaz. Bénie en 1935, elle ne fut érigée en paroisse indépendante qu’en 1938. La dédicace fut reportée après la date d’édification d’un clocher, qui resta à l’état de projet. L’orgue construit en 1980 par les Frères Steimetz a été restauré et amélioré par la firme allemande Klais en 2006.L’orgue précédent, un Cavaillé-Coll tardif « de salon » qui aurait appartenu à Marcel Dupré, occupe toujours le fond de l’église. Les frères Mauméjean ont réalisé une verrière de 26 m2 en façade . La chapelle Sainte-Cécile désaffectée en 1936, a été démolie en 1966. Il subsiste de cette époque un haut-relief en grès de Charles Desvergnes qui représente Sainte-Cécile dirigeant un chœur d’enfants, dédié à « Saint Pie X, rénovateur de la musique sacrée, au peuple du Petit Charonne ».

Église Sainte Marguerite (Paris XIe) Tombeau de Catherine Duchemin par François Girardon (1628-1715)

Ce remarquable monument funéraire a été exécuté entre 1703 et 1707 pour accueillir la dépouille de Catherine Duchemin, épouse du sculpteur de Louis XIV François Girardon, décédée le 21 septembre 1698. Elle était une peintre de fleurs réputée ainsi que la première femme à avoir été admise à l’académie de peinture et de sculpture en avril 1863. François Girardon lui-même assura le dessin de ce mausolée dont la partie principale figure le Christ descendu de la croix selon un marché signé le 12 juin 1703. Le sculpteur en confia l’élaboration à deux de ses élèves Eustache Nourrisson et Robert Le Lorrain : le premier se vit attribuer la réalisation du Christ et du drapé enroulant la croix, le second celle de la Vierge et de l’ange assis au pied de la croix. Girardon conçut le tombeau en marbre vert au pied duquel le corps de Catherine Duchemin fut déposé, en septembre 1715. Exposé initialement dans l’église Saint Landry disparue à la Révolution, la sépulture fut remontée seulement en 1818, mais privée de son sarcophage, dans le cœur de l’église sainte-Marguerite.

Église Saint Germain l’Auxerrois (Paris 1er) Anonyme, vers 1490

Très rare témoignage de la sculpture parisienne de la fin du XVe siècle en pierre calcaire polychromée, la statue de Marie l’égyptienne serait aussi la seule des statues originales qui ornaient le porche de l’église Saint-Germain l’Auxerrois à avoir été conservée. Elle a été déplacée dans la chapelle de la Vierge à l’intérieur de l’église et remplacée par une copie qui accueille désormais les fidèles et les visiteurs dans une niche sur son pilier. Cette mesure a permis de conserver sa polychromie (visiblement remaniée) qui vient rappeler que le porche de saint-Germain-l’Auxerrois était autrefois peint – on peut toujours en déceler de fines traces à l’intérieur du porche. Marie l’égyptienne, courtisane d’Alexandrie menant une vie de débauche, souvent confondue avec Marie-Madeleine, fut touchée par la grâce et se retira dans le désert. Elle est représentée avec les trois pains grâce auxquels elle vécut soixante ans durant, vêtue de ses seuls longs cheveux dorés.

Église Sainte Croix des Arméniens (Paris 3e) : Saint François d’Assise en extase,

Germain Pilon (1540-1590)

C’est à la fin du du XVIe siècle que Germain Pilon réalisa la statue de Saint François d’Assise en extase : le marbre gris évoque la teinte de la robe de bure du moine nouée à la taille par une corde restituée en plomb ,tandis que le marbre blanc est utilisé pour le douloureux visage ainsi que pour les mains et les pieds marqués par les stigmates cette statue de Germain pilon a probablement été commandée avec la Vierge de douleur conservée en l’église saint-Paul-saint-Louis ( IVe) et la Résurrection exposée au musée du Louvre pour orner la rotonde des Valois. La construction de cette chapelle funéraire adossée à la basilique Saint-Denis et voulue par la reine Catherine de Médicis en mémoire du roi Henri II ne fut jamais terminée et elle fut finalement détruite en 1719. L’œuvre est donc demeurée inachevée dans l’atelier du sculpteur. À sa mort en 1590, elle fut entreposée au Louvre jusqu’à la Révolution avant d’être donnée à la ville de Paris en 1818. Déposée à l’église des Capucins du Marais connue sous le vocable de Saint-Jean Saint -François, elle a été concédée en 1971 à l’église catholique arménienne devenue la cathédrale Sainte-Croix des Arméniens de Paris.

Église de La Madeleine (PARIS VIIIe) : le Ravissement de sainte Marie-Madeleine, Charles Marochetti (1805-1867)

Entreprise en 1834, cette sculpture achevée en 1843, un an après la consécration de l’église, hisse Marochetti au rang des sculpteurs les plus en vue de Paris. Marie-Madeleine, vêtue de sa robe de bure, est enlevée au ciel sur sa paillasse de pénitente par trois Anges. Le rythme tournoyant des Anges et le mouvement ascensionnel de la sainte s’entremêlent avec grâce dans une composition d’une rare virtuosité. L’ange majestueux, sujet de prédilection de Marochetti, arbore d’immenses ailes enveloppantes. La blancheur du maître-autel est relevée par la dorure présente sur le bas-relief devant l’autel. L’épisode du repas chez Simon est évoqué dans une longue frise à l’antique.

Article publié dans la revue Una Voce n°347 de Mai – Juin 2024

« Le mystère ou l’absurde ?  Saint Thomas d’Aquin, Sartre et quelques autres »

Frère Luc Artur,O.S.B. Éditions Sainte Madeleine, février 2024

C’est à une exploration soutenue et fervente de la réflexion sur le mystère et son lien avec l’absurde que s’est livré Frère Luc Artur O.S.B. (abbaye du Barroux) dans son dernier ouvrage.

La préface de l’abbé Bernard Lucien ouvre une voie vers cette synthèse approfondie des œuvres majeures ou moins connues étudiées par Frère Luc en proposant le fil conducteur de la question « l’Être est-il mystérieux ou absurde ? ».

Dans la recherche d ‘un point de rencontre entre la théologie chrétienne et la philosophie, l’auteur prend rapidement de la hauteur, dans un style accessible et précis. L’auteur aborde la paroi lisse du mystère, arrimé de toutes les cordes de sa foi aux pitons bien ancrés d’une vaste culture philosophique et théologique. Saint Thomas et les thomistes (spécialement ceux du XXe siècle, le P. Garrigou-Lagrange, Étienne Gilson, le scientifique Michel Louis-Bertrand Guérard des Lauriers o.p…) sont convoqués et confrontés avec les médiévaux Bonaventure et Duns Scot avant d’aborder Sartre, Cioran, Kierkegaard, Nietzsche, pointant l’impuissance des philosophes face aux mystères surnaturels .. Son chapitre consacré à la tentative de définition du mystère, est une brillante synthèse des apports du P.Michel Louis-Bertrand Guérard des Lauriers o.p., des théologiens Urs von Balthasar et de Pascal Ide. La relation entre le mystère et la musique est évoquée par l’ouverture à la transcendance que permet la musique, « le mystère même » (Gabriel Marcel). Concluant sur la nature « relationnelle » du mystère et l’engagement dans « l’aventure » qu’il implique, l’auteur peut ensuite se pencher sur l’absurde, sa définition, par le destin littéraire que lui ont forgé les chrétiens Tertullien et Kierkegaard, et les athées Schopenhauer, Nietzsche, Mallarmé, puis Sartre, Cioran et Camus auxquels il consacre deux chapitres. Cette puissante synthèse s’appuie sur les travaux des meilleurs spécialistes de tous ces auteurs.

La question finale embrasse avec humilité et profondeur ce travail encyclopédique : « est-ce que rien ne compte, hors du mystère ? » L’humour n’en est jamais absent, comme capacité de relativiser les problèmes traités, en se référant encore au P. Guérard des Lauriers « L’humour, c’est une petite sagesse. Elle est très utile, la petite sagesse, qui monte de la terre ».

Outre un index onomastique de trente pages, une bibliographie très complète d’une centaine d’ouvrages permet, tant la citation des nombreuses et diverses sources, que la poursuite du travail de réflexion par le lecteur auquel incite cet ouvrage. Puisque « dans les ténèbres du nord, se trouve l’éclat de l’or. De même dans les ténèbres où nous vivons, nous trouvons quelques resplendissements, quoiqu’obscurs, de la connaissance divine ». ( St Thomas d’Aquin).

Article publié dans la revue Una Voce n°347 de Mai – Juin 2024

L’Ermitage de Font-Romeu : source de bienfaits pour le pèlerin

Ce petit ermitage à une soixantaine de kilomètres à l’Ouest de Perpignan, cerné par les sommets de Catalogne française : pic Carlit, pic Campcardos, pic des Tres estelles, et proche du mont Canigou sacré pour les Catalans, est un lieu de pèlerinage très populaire, spécialement le 8 septembre.

Ce pèlerinage (« aplec » en catalan) est né il y a plusieurs siècles de la dévotion à Notre-Dame de Font-Romeu, statue romane qui disparut à l’époque de l’hérésie cathare, probablement cachée pour la soustraire aux hérétiques menés par le vicomte de Castellbó qui pillaient les églises de Basse Cerdagne à la fin du XIIe siècle.

Selon la tradition locale, cette statue aurait été retrouvée un siècle plus tard par un bouvier qui gardait son troupeau transhumant dans la forêt de La Calme toute proche. Attiré par le manège d’un taureau qui grattait la terre, le bouvier découvrit la statue près d’une source (« font » en catalan). Le curé d’Odeillo, la paroisse la plus proche, redescendit la statue en procession avec ses fidèles à l’église du village. Ce récit est représenté en trois tableaux à la prédelle du retable, suivant fidèlement l’ouvrage « Jardin de Maria » du Père Camos sur les légendes mariales, publié à Barcelone en 1657 : découverte de la statue, annonce au curé d’Odeillo, première montée en procession.

Le pèlerinage : à la source (font) du pèlerin (le « romeu »)

Au XIIIe siècle, un sanctuaire fut donc élevé sur les lieux de la découverte de cette statue, dite « la Vierge de l’invention », et plus précisément La Moreneta (La « brunette » allusion au bois sombre dans lequel elle fut taillée). L’existence de cette fontaine, et d’autres indices, laissent penser que le site -possession du monastère de Saint Martin du Canigou au XIe siècle- était au Moyen-âge un lieu de passage des pèlerins se rendant à saint Jacques de Compostelle. D’où la dénomination de Font-Romeu, fontaine du pèlerin1, qui fut reprise par l’actuelle station dont la création date du début du XXe siècle.

Depuis le XIIIe siècle, la statue de la Vierge est ainsi portée en procession, de l’église d’Odeillo à l’Ermitage de Font Romeu distant de quatre kilomètres, à 1830m d’altitude) le dimanche de la Trinité. Elle pourra ainsi recevoir l’hommage des pèlerins pendant les mois d’été. Le 8 septembre -ou le dimanche le plus proche- jour du grand pèlerinage qui devint par la suite diocésain, elle est redescendue à Odeillo et y demeure jusqu’au printemps suivant, évoquant le mouvement de transhumance des troupeaux.

La chapelle primitive a été agrandie en 1686 et une hôtellerie construite pour héberger les pèlerins de plus en plus nombreux. Une modeste piscine à l’extérieur du bâtiment, très fréquentée les jours d’aplec complète ces installations.

Une magnifique collection d’ex-voto rend compte de la sollicitude de la Moreneta pour tous ceux qui cherchaient son aide, mettant en scène un vœu de guérison, ou une situation difficile à laquelle son intercession a permis d’échapper.

Le retable de Josep Sunyer (1704-1707)

Alors qu’aucune voie carrossable ne pouvait pourtant atteindre l’ermitage au XVIIe siècle, les pèlerins étaient si nombreux à vénérer la Vierge et à laisser leur obole qu’il a été possible de faire appel au début du XVIIIe siècle à un maître du genre, Josep Sunyer, pour monter un des plus beaux retables de l’art baroque catalan, remarquable par la composition de l’ensemble,le mouvement des personnages, la finesse des traits,la précision et la magnificence des dorures et des polychromies.

Deux anges céroféraires servent de piliers et les statues symboliques de la Foi et de l’Espérance sont surmontées de celles de quatre docteurs de l’Église : Saint Grégoire, Saint Jérôme, Saint Ambroise et Saint Augustin.

Ils sont eux-mêmes encadrés de représentations toutes en mouvement et couleurs de l’Annonciation, de la Visitation, de la Nativité et de l’Adoration des mages. Saint Martin, patron de la paroisse, est juste sous le Père Éternel et cet ensemble encadre la statue de la Vierge, présente l’été seulement.

Dans l’église, au pied de chaque escalier menant au camaril, ont été placés deux retables : le retable dit « de saint Jean-Baptiste », à gauche, en bois doré et peint, et celui de Saint joseph, à droite, plus tardif, dont seule la statue de Saint Joseph est attribuée à Josep Sunyer lui-même.

Pendant les travaux, Josep Sunyer eut la douleur de perdre son fils Pierre et obtint l’autorisation de l’inhumer dans la chapelle de l’Ermitage.

Les trois retables sont classés.

Le camaril

Typique de la décoration intérieure des églises de la région, cette « petite chambre »

est une sorte de pièce de réception de Notre Dame, destinée à la mettre en valeur et mieux se recueillir en présence de la statue miraculeuse. Située à l’arrière et en surplomb du maître-autel, elle est visible en haut d’un escalier de quelques marches, de chaque côté de l’autel. Murs et plafonds sont entièrement lambrissés et peints d’un décor floral et les ouvertures garnies de moulures et de rinceaux finement sculptés Les sculptures : Assomption, Christ en Croix,ont été réalisées par Josep Sunyer à partir de 1718. Trois médaillons présentent les scènes du repos lors de la fuite en Égypte, la Présentation de Marie au Temple et l’Immaculée Conception. Les peintures ont été réalisées entre 1730 et 1734 par l’artiste perpignanais Félix Escriba, également doreur du retable.

Aux quatre angles de la pièce, des anges musiciens de taille d’homme, surmontés d’une large coquille, participent au triomphe de la Vierge, en ce lieu dont se dégage une ambiance intime et de gloire tout à la fois. Ainsi Nostra Senyora de Font-Romeu pouvait-elle recevoir ses fidèles dans le camaril sous l’accompagnement harmonieux de la musique d’anges musiciens.

D’autres exemples de camaril sont visibles à Montserrat, Nuria, en Espagne, Err et Thuir en France.

On peut redire avec Émile Mâle, historien de l’art « c’est ainsi que le Ciel entre dans l’église ».

Bibliographie

Delcor « Les vierges romanes de Cerdagne et de Conflent » Dalmau Éditeur, Barcelone, 1970.

Eugène Cortade « Retables baroques du Roussillon » SINTHE, Perpignan, 1973.

Marcel Durliat «  L’art catalan » Arthaud, 1963.

Article publié dans la revue Una Voce n°347 de Mai – Juin 2024

  1. En occitan (« celui qui va à Rome »). De nombreux toponymes du Sud-Ouest de la France y font référence, ainsi le bourg de La Romieu (Gers) sur le chemin de Compostelle.

Notre Dame de l’Agenouillade : Une rare et ancienne apparition de la Vierge

L’église Notre Dame du Grau érigée au Grau d’Agde en 1583 par le gouverneur du Languedoc Henri Ier de Montmorency, et la chapelle dite « de la Genouillade » toute proche marquent le site d’une source et d’un rocher sur lequel la Vierge, priant Dieu d’arrêter la montée des eaux qui l’envahissaient régulièrement depuis la Méditerranée, aurait laissé l’empreinte de son genou fléchi.

C’est un lieu de pèlerinage très actif sur la via Tolosana d’Arles à Compostelle.

Un environnement sacré et périlleux

Situé entre mer et fleuve marécage et pinèdes, le site a connu de nombreuses occupations : habitat gallo-romain, oratoire fondé en 450 par Saint-Sever, autel à Marie au VIe ou VIIe siècle, couvent bénédictin puis capucin fondé au XVIe siècle par Henri,Connétable de Montmorency. Il ne subsiste aujourd’hui de ce couvent vendu comme bien national à la révolution et partagé en propriété privée que quelques arcades, un puits et des salles souterraines voûtées : une source qui valut à Notre Dame du Grau son nom primitif de notre Dame d’Aigues Vives, prend naissance dans un puits voûté recouvert ultérieurement d’un bâtiment en basalte. Le cheminement de l’eau, couvert par les Capucins, s’effectue en partie par ce réseau de salles souterraines jusqu’au puits de l’ancien cloître.

La géographie du site est particulière : Le phénomène de submersion de l’embouchure de l’Hérault est bien connu à Agde il a été porté à son paroxysme à plusieurs reprises : en 1766 1800,1875, et 1907. Si la mer est en tempête alors que l’Hérault est en crue les eaux au lieu de s’écouler refluent dans les terres. Il faut imaginer le rivage bien plus près qu’il n’est aujourd’hui : l’embouchure du fleuve côtier Hérault n’était alors pas endiguée et s’ouvrait dans la mer par un estuaire (un « grau » en langue d’oc). Toute la plaine était inondée jusqu’au pied du sanctuaire actuel.

Saint Sever, Rinilo, Henri de Montmorency : les bâtisseurs

Au milieu du 5e siècle un riche noble syrien désireux de vivre selon la pauvreté évangélique partit de chez lui, mettant ses richesses et une partie de son personnel sur un bateau en confiant à la providence le soin de le guider. Il aborda ainsi à l’embouchure de l’Hérault (le « grau ») et après avoir donné la liberté à ses gens et ses richesses à l’évêque d’Agde Béticus, il se retira près d’une source afin d’y vivre en ermite dans une cabane de roseaux. Les Agathois voulant avoir ce saint homme auprès d’eux construisirent un monastère près de l’église Saint-André. L’un de ses disciples, Adjutor, voulant fuir le monde changea son nom en Maxence et se rendit en Poitou où il fonda un monastère qui prit son nom( Saint- Maixent). L’ancien ermitage ne fut pas abandonné pour autant et resta habité par quelques religieux. C’est l’un d’eux qui fut le témoin d’une apparition à laquelle on ne peut assigner aucune date et dont le premier récit connu date de 1868. L’abbé Emmanuel Martin d’Agde le rapporte dans sa « Notice sur Notre-Dame du Grau suivie de la vie de Saint Sévère » : «  la mer soulevée avec une violence extraordinaire soutenue pendant plusieurs jours, semblait conjurée avec l’ Araur (l’Hérault) débordé pour engloutir cette contrée jadis sortie de ses eaux. Un de ces tremblements de terre fréquent autrefois sur ce sol vomi tout entier par un volcan sous-marin ajoutait à la terreur profonde des habitants. Un ermite du Grau qui répandait son âme devant l’autel demanda grâce pour Agde et Marie lui apparut : il la vit agenouillée sur la pointe d’un rocher basaltique que l’inondation respectait encore et joignant ses prières à celles de son serviteur. Alors les flots s’abaissèrent, la mer s’éloigna de ces lieux qu’elle ne devait plus menacer et la Pierre signalée à la vénération des fidèles par le dévot ermite fut marquée d’un sceau profond semblable à l’empreinte d’un genou. On éleva à côté une espèce de colonne pour en indiquer la place. Plus tard une église a succédé à la colonne et le peuple est accouru pour vénérer avec respect ce monument de la piété de nos pères et de la bonté de Marie ».

Plus tard, au VIe ou VIIe siècle, un lieu de culte chrétien doté d’un autel dédié à Marie fut fondé sur le site par une vierge pieuse d’origine germanique voire wisigothique, Rinilo, en vue d’expier ses péchés. On ignore si Rinilo appartenait à un état religieux particulier. L’autel à Marie, et un autel dédié à l’apôtre Pierre furent placés près de l’autel principal. La dédicace a pu être ainsi reconstituée :

« Ce lieu de culte fondé par Rinilo, vierge dévouée à Dieu est consacré au Christ, un autel établi à la bienheureuse Vierge Marie et un oratoire sous le vocable de Pierre, apôtre et confesseur. Elle a œuvré pour l’expiation de ses fautes ».

Fundabit hoc templum Rinilo D(e)odicataVirgo sacratum Christo(xPO) Marie Virginis alme condidit altare. Petro apostoli confessor… oratoria titulabit sci..laboribus expiens.

En 1583, Henri de Montmorency (1534-161), figure marquante des guerres de religion, gouverneur du Languedoc et connétable de France, fit construire le couvent des capucins et une église, consacrée en 1609 par l’évêque d’Agde, Henri de Montmorency y fut inhumé en 1614. Sa dépouille revêtue de l’habit des Capucins et son cercueil de plomb furent vandalisés en 1792. Le marbre fut enlevé et vendu, le cercueil fut brisé et fondu pour en faire des balles. Les ossements jetés au fond de la fosse furent recouverts de terre1. Après la profanation de la sépulture une partie des ossements d’Henri de Montmorency a été rejetée dans le caveau accompagné de restes osseux provenant d’une autre sépulture profanée.

Le retable en marbre rouge de Caunes-Minervois enchâssant une statue de la Vierge à l’Enfant fut reconstruit en 1830 après le sac révolutionnaire de 1793. Une petite chapelle latérale conserve un retable de plâtre abritant en son centre une statue de la Vierge en bois doré du XVIIe. Le portail à colonnes doriques en basalte n’est autre que l’ancienne entrée de la cathédrale d’Agde L’église abritait de nombreux ex-voto : tableaux, maquettes, plaques de bois ou de marbre, autant de remerciements des gens de mer en quête de protection, souvent légendés « V.F.G.A », « Votum feci, gratiam accepi ». L’inventaire de 1906 en dénombrait près de cinq cents, dont seulement trente ont pu être sauvés de l’humidité et des pillages et sont désormais conservés au musée d’Agde.

La Chapelle de la Genouillade

La chapelle de l’Agenouillade fut aussi érigée en 1583 par Henri de Montmorency, autour du rocher marqué par l’empreinte du genou de la Vierge. Elle porte sur la toiture une lanterne des morts. Les fresques intérieures, achevées en 1667, représentent les quinze mystères du Rosaire. Le vitrail figurant le miracle, date de 1943.

En 1920 fut construit sur le parvis un rocher artificiel avec une grotte figurant l’ermitage, et une statue monumentale de la Vierge agenouillée. À cette rare apparition de la Vierge agenouillée, « les chrétiens ont porté plus de dévotion et de référence à cette sainte chapelle ou la sainte mère de Dieu accorde tous les jours de nouvelles grâces et faveurs à ceux qui viennent réclamer les secours de la puissante reine des cieux (abbé Maurin, » Notre-Dame du Grau d’Agde », 1928).

Article publié dans la revue Una Voce n°347 de Mai – Juin 2024

  1. Des travaux archéologiques ont permis de découvrir ce caveau dont les caractéristiques sont en tout point identiques à celles contenues dans le récit du saccage.

Un orage lexical

Au passage, le dieu de l’orage a suscité un orage lexical, changeant sa bêche en bèche, non moins efficace on l’espère !

Musée du Louvre, avril 2024