De l’utilité de l’Association AU BIEN ÉCRIRE

Un auteur à succès couronné de prix a commis un petit opus, une nouvelle un peu longue, un roman un peu court « inspiré d’une histoire vraie », ce qui ne manque pas d’attirer les foules.

Mais cet opus est ennuyeux. On se traîne dans de faux événements, une narration convenue, des états d’âme mal exposés.

Et l’écriture ne sauve rien. Une phrase au hasard : « il possédait de longs cils qui ombraient ses pupilles ». Mon institutrice (pardon, ma professeure des écoles) de CM2 m’aurait reprise sur cette formulation et je vois presque dans la marge son commentaire en rouge « phrase lourde ». En plus d’être lourd, c’est ridicule : il possédait des cils ? Il ne les avait pas en location longue durée, il ne les avait pas empruntés le matin, personne ne les lui avait prêtés, il les possédait, ouf !

Ma professeure des écoles m’aurait demandé de réécrire. Nous serions probablement tombées d’accord sur la formulation sobre mais non moins frappante : « de longs cils ombraient ses pupilles ». Mais peut-être fallait-il faire de la ligne, de la phrase, du texte à tout prix, avec le dictionnaire des synonymes sous la main ?

Relisons ÉLISÉE RECLUS pour nous consoler !

Elisée RECLUS (1830-1905)

Géographe, militant anarchiste, écrivain, écologiste avant l’heure… et poète

Histoire d’un ruisseau

L’histoire d’un ruisseau, même celui qui naît et qui se perd dans la mousse, est l’histoire d’un infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécules de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots ; le soleil, dans sa course journalière, les a fait resplendir des reflets les plus éclatants ; la pâle lumière de la lune les a vaguement irisées ; la foudre en a fait de l’hydrogène et de l’oxygène, puis d’un nouveau choc, fait ruisseler en eau ces éléments primitifs.(…) ce ruisseau, je l’ai trouvé partout, c’est la Dronne, c’est la Vézère, la Vanne, l’Almandarez, que sais-je !

Histoire d’une montagne

J’aimais sa face calme et superbe éclairée par le soleil quand nous étions déjà dans l’ombre. J’aimais ses fortes épaules chargées de glaces aux reflets d’azur, ses flancs où les pâturages alternent avec les forêts et les éboulis ; ses racines puissantes s’étalant au loin comme ceux d’un arbre immense, et toutes séparées par des vallons avec leurs rivelets, leurs cascades, leurs lacs et leurs prairies : j’aimais tout dans la montagne, jusqu’à la mousse jaune ou verte qui croît sur le rocher, jusqu’à la pierre qui brille au milieu du gazon.

Histoire d'un ruisseau Histoire d'une montagne